JURA
C’est ici que George Orwell a écrit l’essentiel de son roman “1984” : il faut dire que cette île rocailleuse, dominée par deux collines jumelles, est davantage peuplée de cerfs que d’êtres humains… Jura n’abrite qu’une seule distillerie, dont le malt s’est caractérisé longtemps par un style sec, assez léger et mâtiné d’une nette influence de fûts de bourbon. Si la distillerie est une des rares qui continue les malts classiques,  elle s’est aussi mise récemment aux tourbés. À goûter ses whiskies, on ressent en bouche une grande richesse aromatique, qui s’associe toujours à une sensation iodée, très forte, qui s’explique par un chai ouvert sur la mer : le sel alors se dépose sur les barriques, donnant à la production de Jura cette âcreté saline si caractéristique.

Isle of Jura
Si Jura est le nom de l’île, c’est aussi celui d’une des plus fameuses distillerie d’Écosse, fondée au XIXe siècle.  Reprise en main, après une longue période d’interruption, à partir des années 1960, elle a été reconstruite, avec de très hauts alambics permettant la distillation de malts différant les uns des autres. Propriété du groupe Whyte and Mackay, qui élabore aussi ceux des marques Dalmore ou Fettercairn, elle occupe la 3e place sur le podium des malts les plus vendus au Royaume Uni. Historiquement non tourbés, ces malts se sont ouverts à la tourbe à partir de 2009 avec des expressions comme Superstition et Prophecy.

Jura Superstition, 43 %
Ce malt, sans mention d’âge officiel, tire pourtant sa personnalité d’un assemblage d’alcools jeunes (et relativement tourbés) et d’une sélection de vieux malts. Étonnant, légèrement tourbé, on y décèle des notes de crèmes anglaises et de céréales grillées et fumées. La bouche, finement poivrée, porte sur le bois et le chocolat. Fluide, la finale joue sur une pointe d’orange et de sel. Beaucoup de finesse et d’élégance pour ce malt.
57 $

Jura 16 ans Diurachs’ Own, 40 %
Une douceur pour Noël ? Sans conteste cette cuvée élevée en fûts américains puis affinée en Xérès les deux dernières années. Pain d’épices… Dattes séchées… Saveur de résine… La bouche est sur la douceur : beaucoup de gras avec des notes chocolatées, d’oranges confites et d’abricots séchés. La finale est plutôt boisée avec une traînée de clou de girofle. On se laisse séduire du début à la fin.
100 $

ORCADES
Les “Orkney Islands” est l’archipel qui coiffe l’Écosse au nord. Situé sur l’ancienne route maritime des vikings, ce chapelet de 67 îles, colonisées par les phoques (seule une trentaine sont habitées), n’ont été rattachées au royaume écossais qu’à la fin du XVe siècle. L’île porte toujours les stigmates des guerres mondiales : c’est dans le port de Scapa que la flotte allemande par exemple se saborda en 1919. Si cette région a compté jusqu’à neuf distilleries, aujourd’hui, il n’en reste plus que deux. Highland Park est la plus renommée. Mais Scapa, à l’emblème de drakkar, la talonne de près.

Highland Park
Highland Park, l’une des deux distilleries écossaises des îles Orcades, au nord de l’Écosse, est réputée pour ses whiskies iodés, aux sensations très tourbées. Si son histoire remonte à 1895,
un incendie la détruisit complètement et elle ne fut reconstruite qu’à la fin des années 1950 afin essentiellement de produire des blends. Highland Park possède ses propres tourbières et réalise sur place le maltage d’une partie de ses matières premières, avec de l’eau elle-même très tourbée. C’est d’ailleurs ce que recherchent les amateurs de ces single malts aromatiques : une sensation de tourbe chaude.

Highland Park, 12 ans, 43 %
Le nez est caractéristique de cette distillerie avec des notes de bruyère (liées à la tourbe employée) et de miel. S’il s’agit d’un malt “tourbé”, il l’est sans ostentation. Le nez de ce 12 ans d’âge démarre sur une très nette tonalité mielleuse, qui s’associe à une légère fumée de tourbe ainsi qu’un soupçon d’algues vertes. En bouche, on débusque en plus une pointe de pâte d’amande, voire de marzipan. Le côté iodé est bien fondu. À comparer aux petites étincelles d’un feu de camp les nuits de pleines étoiles dans le ciel Viking !
57 $

SKYE
Beaucoup de lecture ont mené à ce constat : s’il est une île d’Écosse à visiter, ce sera Skye. Toute la beauté de la région se concentre sur ce morceau de terre, arraché à la mer, du nord des Hébrides. « Là où les vagues en furie déchiquètent les côtes, où les rochers encornent les couchers de soleil, où les pics crèvent les nuages de brume, où la lumière caresse les fées », assure la journaliste Christine Lambert dans un article de Slate, qui nous invite à aller tremper nos orteils dans les Fairy Pools, ces piscines des fées. « Ces bassins naturels creusés en cascade dans la rivière, au milieu de nulle part au pied des monts Cuillin, eaux cristallines dont la température varie selon la saison de “froid” à “putain de fucking glacial”. Elles jouent à cache-cache dans le Fairy Glen (la vallée des fées), au nord de l’île, un comté de petites collines moquettées d’herbe, trouée de minuscule lochs, planté d’arbrisseaux, tout à l’échelle de Hobbit.

Talisker
Talisker (“falaise en pente” ou “rocher escarpé”, dans un vieux dialecte scandinave) est l’unique distillerie de Skye pour encore quelques mois : une petite nouvelle, Torabhaig, doit ouvrir au printemps 2017. Établie en 1830 sur les rives du Loch Harport, elle a une particularité : son eau douce déjà tourbée provient de 21 sources souterraines du Hawk Hill à quelques pas de la distillerie et non d’une rivière comme c’est souvent le cas ailleurs ! Talisker envoie presque toute sa production vieillir sur le mainland écossais. Figurant dans le top 10 des malts les plus vendus au monde, elle reste attachée aux “bonnes vieilles méthodes” (notamment des condensateurs en forme de serpentin). Ses malts se reconnaissent facilement : un côté tourbé bien sûr mais aussi un caractère huileux dû à son lent refroidissement en sortie d’alambics.

Talisker, 10 ans, 45,8 %
Profondeur et richesse sont les traits saillants de la production de Talisker. Des qualités qui s’incarnent d’abord dans des notes finement iodées et tourbées, auxquelles s’agrège un regain d’algues marines et de grains humides. Fumée, la bouche est aussi généreuse, marquée par les fruits secs et une traînée poivrée. L’alcool ne s’impose que lentement. Difficile à oublier !
63,25 $

ISLAY
Collines plates et caillouteuses… Plaines tourbeuses battues par le vent. On ne peut pas dire qu’Islay soit de ces beautés prisées… Mais cette cendrillon constitue malgré tout un “petit paradis” pour les amateurs de whiskies, car elle recèle les malts les plus typés d’Écosse. Rien d’étonnant à cela : ses terres figurent parmi les plus fertiles, ce qui lui a longtemps permis de produire l’orge nécessaire à la distillation du malt ; l’eau demeure abondante du fait d’une forte pluviosité ; et les tourbières, qui fournissaient le combustible, représentent toujours le quart de la superficie de l’île. Sur Islay, les bouilleurs de cru ont maintenu la tradition de la distillation illégale, bien plus longtemps qu’ailleurs : la contrebande reste endémique jusqu’au début du XIXe siècle. C’est grâce à la réputation grandissante de marques comme Laphroaig ou Lagavulin que la mode de la tourbe monte en puissance. Certains malts de l’île sont cependant très peu tourbés. L’autre caractéristique réside en fait dans l’influence océanique qui baigne tous les chais de l’île et apporte des notes iodées, voire salées, qu’on ne trouve guère ailleurs en Écosse. Huit distilleries y cohabitent aujourd’hui. Une malterie moderne y a été également construite pour approvisionner d’autres distilleries en orges maltés. De ces huit distilleries, nous avons sélectionné la production de trois grandes.

Lagavulin
Sortie de l’illégalité en 1816, “Laga” (pour les intimes) change maintes fois de propriétaires avant de trouver refuge en 1927 chez The Distillers Company, ancêtre de Diageo. Pour ceux qui se sont laissé attendrir par “La part des anges”, le film de Ken Loach, c’est aussi un fût de malt mill issu de cette distillerie, autour duquel tourne tout le film. Si la marque partage beaucoup de ces secrets de fabrication avec Caol Ila, sa petite sœur îlienne (autre marque Diageo), il s’agit cependant d’un malt ultravivifiant. D’aucuns assurent percevoir l’iode et les embruns dans un verre de Lagavulin, ce qui est improbable, les fûts n’étant souvent pas même vieillis sur l’île. Mais ces malts conservent aussi un côté riche et crémeux qu’on adore.

Lagavulin, 16 ans, 43 %
Fermez vos yeux et imaginez : vous êtes face à l’océan à l’approche d’une grosse tempête… La même sensation vous envahira en dégustant ce Lagavulin. Fumé oui, tourbé encore davantage, iodé évidemment (voire goudronné), poivré discrètement… Le Laga 16 ans est riche, d’une complexité à damner. Un rugbyman de première catégorie ! Vous l’aurez compris, un meneur de jeu !
76 $

Bowmore
Située dans la petite ville du même nom, sur la côte du Loch Indaal, Bowmore est la plus ancienne distillerie (officielle) d’Islay, voire d’Écosse. La totalité de sa production est embouteillée en single malt ; elle ne sort aucun blend. En revanche, sa gamme est assez large : de 12 à 30 ans de vieillissement ainsi que plusieurs éditions spéciales. Bowmore malte toujours une partie de ses orges et se distingue en plus par certains de ses chais situés sous le niveau de la mer. La distillerie est aussi connue pour ses embouteillages moyennement tourbés et par ses finitions en fûts spéciaux, qui lui ont valu de nombreux éloges.

Bowmore 12 ans, 40 %
Il est “stylé” ce Bowmore 12 ans d’âge. Peut-être est-on sensible à ce nez marin qu’on doit aux embruns qui viennent frapper aux portes du chai numéro un ! Peut-être aussi aime-t-on sa tourbe discrète, qui permet à un côté floral de venir jouer les filles de l’air. L’élevage en fûts de bourbon (chêne américain) et de Xérès (chêne espagnol) ne lui enlève rien : en bouche, cela lui donne des notes de fruits caramélisés, un côté “réglisse” qui rend le côté “pétrolier” de la tourbe, davantage fondu et subtil.
43 $

Laphraoaig
Fondée en 1820, cette maison est l’incarnation du single malt tourbé : elle a fait découvrir la tourbe au reste du monde, avec une âcreté tout à fait spécifique, quasi phénolique, mais aussi des notes salées très nettes. Elle continue à malter sur place une partie de son orge, ce qui lui garantit son approvisionnement. Autre particularité : le tourbage s’effectue avant le séchage du malt. Mais si Laphroaig fait partie des single malts les plus connus, c’est aussi en partie grâce à un marketing de génie. Grâce à son opération “Friends of Laphroaig”, ils sont quelque 600 000 fanatiques en possession d’un lopin de tourbière dans lequel ils peuvent planter leur drapeau ! Et les jours de fortes pluies (pas si rares !), les “Friends of Laphroaig” trouvent un gilet de sauvetage accroché à la barrière du champ, voire une corde pour se repérer dans l’intense brouillard. Bonne excuse pour venir chercher son “loyer” payé en liquide, sous la forme d’une très rare mignonnette !

Laphroaig 10 ans, 40 %
La tourbe dans le verre, c’est très simple : on adore ou on déteste. Et chez Laphroaig, elle vous emplit les narines et le palais. Autant le dire : si vous n’êtes pas un amateur de sensations quasi médicinales (camphre), si vous n’avez pas, dans un coin de votre mémoire, le souvenir des marchés de poissons des quais pluvieux des ports de Bretagne, ou d’Écosse… Passez votre chemin. Ici, vous pourriez même vous retrouver projetés jusqu’en Extrême-Orient tant ce jeune Laphroaig joue sur des notes de poissons séchés et d’algues. Malgré tout, le palais reste d’un beau classique, avec des notes de paille et d’avoine, de feuilles de tabac fraîches et une finale huileuse. Un malt délicieux, très spécial, que l’on conseille de tester sans attendre.
57 $