Un article du Dossier

Le Liban fait son cinéma

Le triptyque du réalisateur a été réalisé grâce à des mécènes et des fonds de soutien au cinéma. Les quelques voies qui permettent à un cinéma d’auteur d’exister au Liban. 

Pour qui veut faire un cinéma d’auteur, l’indépendance a un prix. Révélé en 1998 par Beyrouth Fantôme, Ghassan Salhab a dû résister aux suggestions plus qu’appuyées des distributeurs ou des producteurs désireux de formats plus courts, de montages plus dynamiques, ou de scénarios davantage accessibles au grand public. Mais le Libanais natif de Dakar n’a jamais dévié pour imposer son cinéma. Ses deux derniers longs-métrages − points de départ d’un triptyque dont le dernier épisode est prévu pour 2018 − ont dû surmonter les obstacles financiers et tracer leur propre route pour exister. Le premier du genre, “La montagne”, film en noir et blanc sur les pérégrinations d’un homme dans les sommets libanais, a trouvé son salut auprès de mécènes. Des amoureux, comme son réalisateur, d’un cinéma différent. Et bien loin des considérations économiques. « Pour les films d’auteur, il faut essayer de limiter les pertes, mais au final on perd à tous les étages », confie Georges Schoucair, propriétaire de la société Abbout Productions et financeur de “La montagne” à hauteur de 60 000 dollars. Le budget du premier volet de ce triptyque − complété par l’apport d’un autre mécène anonyme de 50 000 euros, et par un fonds du Doha Film Institute pour la postproduction − s’est élevé à 170 000 dollars. Une enveloppe modeste, mais suffisante pour mener à bien le projet. « Le problème du cinéma d’auteur, c’est ensuite de le faire circuler », explique Ghassan Salhab. Car dans une logique de profit, difficile pour les salles et les distributeurs de miser sur un film pointu. Projeté quatre semaines en 2011 dans la salle du Sofil Metropolis (dont Ghassan Salhab est membre du conseil d’administration) “La montagne” ne réalisera que 677 entrées, soit 6 450 000 livres libanaises de recettes en salle (à peine 4 300 dollars), à partager entre le cinéma, les distributeurs et les producteurs. Quelques ventes aux télévisions rapporteront çà et là à peine plusieurs milliers de dollars. Autant dire une misère au regard des sommes investies. « Il faut être lucide, le cinéma que je fais ne rapporte pas d’argent », poursuit le réalisateur, qui dit « acheter sa liberté » en parallèle en dispensant des cours de cinéma à l’Alba et à l’USJ, ou via des activités de consultant. Pour le deuxième volet de son triptyque, le réalisateur voit plus grand, ce qui implique davantage de fonds. “La vallée” sera en couleur, agrémenté de quelques effets spéciaux et doté d’une équipe plus importante. Si Georges Schouhair apporte quelques milliers de dollars, Ghassan Salhab coproduit le film avec des sociétés française (Les Films d’Ici) et allemande (Una Film) et décroche pour près de 600 000 dollars d’aides (CNC et la Francophonie en France, Vision sud-est en Suisse, le World Cinema Fund en Allemagne, Fonds arabe pour les arts et la culture (Afac), le Doha Film Institute…). En salle, le long-métrage fait à peine mieux que “La montagne” avec 837 entrées et 9 200 000 LL (6 000 dollars) de recettes. « Heureusement, les festivals permettent à mes films d’exister », se rassure Ghassan Salhab, dont le film est projeté à Toronto ou à Berlin. Téméraire et plus que jamais convaincu qu’il est possible de faire un cinéma libre au Liban, Ghassan Salhab est désormais engagé vers le troisième et dernier opus de sa série. Le scénario de “La rivière” est écrit et les demandes de financement aux fonds cinématographique ont été déposées, même si le budget n’est pas encore déterminé. Le tournage doit débuter en mars.

“La montagne”

Réalisation : Ghassan Salhab

Production : Abbout Productions

Budget : 170 000 dollars

Financement : fonds privés, Doha Film Institute (postproduction)

“La vallée”

Réalisation : Ghassan Salhab

Productions : Abbout Productions (Liban), Les Films d’Ici (France), Una Films (Allemagne)

Financement : CNC, la Francophonie, Vision sud-est, Word Cinema Fund, Afac, Doha Film Institute

 

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