« Le sergent Dida n’avait jamais rencontré sa bonne étoile, aussi ne levait-il plus les yeux vers le ciel. » Ainsi s’ouvre le premier roman du reporter de Radio France Internationale, Olivier Rogez. Il nous emmène au cœur de l’Afrique de l’Ouest sur les traces d’un personnage digne de Candide : le sergent Dida. Jeune soldat désœuvré, il végète au sein d’une armée africaine ruinée et corrompue quand le destin lui offre une chance de se hisser au-dessus de sa condition de miséreux. Il s’enrichit d’abord grâce au trafic des bons d’essence de l’armée. Puis, profite de la crise économique et politique que traverse le pays pour conduire, avec une équipe de pieds nickelés, un “putsch pacifique” qui aboutit au renversement de l’ordre établi. Parvenu au sommet de l’échelle de manière aussi fulgurante qu’inattendue, l’apprenti politicien devient pourtant la proie de doutes existentiels. Quel homme est-il devenu : un énième dictateur, un militaire sans ambition ou un cleptomane impénitent s’accaparant les richesses de la nation ? À ce stade, il faut bien admettre qu’il n’a aucun projet économique, culturel ou éducatif à offrir, pas la plus petite idée d’une réforme. Va-t-il se contenter à l’instar de ses prédécesseurs des honneurs et avantages du pouvoir ? Comment ce dernier influera-t-il sur lui et au-delà sur le pays tout entier ? Ce sont ces questions entre autres qui taraudent notre héros, au cours de sa métamorphose, et qu’interroge l’auteur avec un mélange d’ironie et de tendresse. Tout à la fois roman d’éducation et fable utopiste, “L’ivresse du sergent Dida” est conçu par l’auteur comme la métaphore d’un continent placé face à son destin. Fort de sa connaissance de la région, il nous livre une satire sociale puissante, tout à la fois critique et témoignage. C’est toute l’Afrique qu’il réussit à nous restituer avec ses couleurs, ses odeurs, ses contradictions, sa liberté, son énergie et ses espoirs de résilience.

“L’ivresse du sergent Dida”, d’Olivier Rogez, éditions Le Passage, 2017, 20 dollars.