D’un livre à l’autre, Delphine de Vigan s’intéresse à ce que l’on ne voit pas au premier coup d’œil, aux détails, aux microfissures. Dans son nouveau roman, “Les loyautés”, elle sonde les forces invisibles et puissantes qui régissent nos actes et nos silences à travers le destin croisé de quatre personnages. Deux enfants au seuil de l’adolescence : Théo, otage du divorce de ses parents, qui cherche un refuge dans l’alcool ; Mathis, son copain de classe, qui finit par trouver ce jeu trop dangereux, mais ne sait pas comment l’arrêter. En contrepoint, deux adultes accaparés par leur propre histoire. L’une, la mère de Mathis, vient de découvrir le secret inavouable de son mari ; l’autre, ancienne enfant battue devenue professeure, voit en Théo des signes de maltraitance qui la font dépasser le cadre de ses attributions.

Quatre voix donc, mais quatre trajectoires qui se croisent, s’entremêlent, saturées de non-dits et de solitude.Dès les premières pages, tout est suspendu à l’attente d’un drame qu’on sent poindre inexorablement. Puis, la tension augmentant, le lecteur est pris au piège de ce roman nerveux. Avec une économie de moyens proche du dépouillement et une remarquable maîtrise, il vous empoigne. Impossible de résister à son rythme effréné, de ralentir pour mieux s’en délecter. Il tire sur sa bride et vous conduit au triple galop vers son dénouement qui vous laisse la tête pleine de questions. Libre à vous d’échafauder mille théories ou d’inventer une suite. Le livre se referme sur ses secrets. C’est une ruse supplémentaire que cette fin ouverte : il ne vous reste qu’à rouvrir le livre pour tenter d’y trouver la clé du mal qui ronge la société contemporaine française. Ce monde que Delphine de Vigan donne à voir dans un livre sombre sans être désespéré, où la lumière émerge de la nuit et l’émotion irrigue chaque phrase sous l’âpreté de surface.

“Les loyautés”, Delphine de Vigan, édition J.C. Lattès, 20 dollars.