Dans la mythologie grecque, les harpies sèment le chaos sur leur passage et symbolisent la vengeance divine. Dans le roman de Joe Meno, La Harpie, un bled paumé de l’Illinois, semble bien porter son nom tant ses habitants ont la mémoire longue et la rancune tenace. « Un lieu teinté d’infamie et de luxure secrète. » C’est pourtant là, dans sa ville natale que Luce Lemay a décidé de passer sa conditionnelle, au sortir du pénitencier de Pontiac. Il vient de purger une peine de trois ans pour avoir un soir de braquage et d’ivresse renversé une femme qui traversait avec son landeau, tuant son bébé sur le coup. Sur le difficile chemin de la réinsertion, il retrouvera son compagnon de cellule, Junior Breen, un colosse au cœur tendre qui a écopé d’une peine plus longue pour le meurtre d’une jeune fille. Aux yeux de la loi, ils ont payé leur dette, mais pourront-ils jamais se racheter vis-à-vis de la société comme d’eux-mêmes ? Au début, la chance semble leur sourire. Ils trouvent un job dans une station-service, tenue par un ex-taulard ; une piaule dans une pension de famille peu regardante et, cerise sur le gâteau, Luce rencontre l’amour en la personne de Charlène. Mais c’est précisément quand ils commencent à croire à leur rédemption que les choses se gâtent. Bien que les deux ex-détenus soient décidés à rester dans le droit chemin, le malheur semble leur coller aux basques. C’est qu’on n’échappe pas plus au destin qu’aux fantômes du passé, encore moins à la veulerie des habitants de La Harpie qui s’emploieront à détruire leur moindre espoir et toute chance de réinsertion. D’une écriture poétique – on y débusque quelques envolées d’une beauté absolue ‒ où l’humour désabusé affleure à chaque phrase, ce roman noir nous livre une réflexion profonde et sensible sur le poids de la culpabilité individuelle et le pardon. Histoire d’une rédemption impossible.

“Le Blues de La Harpie”, Joe Meno, éditions Agullo 2017, 311 p. 24 dollars.