Crédit photo : Chérine Jokhdar

D’un côté, la poterie de votre fille de 3 ans ; de l’autre une céramique, chinée dans le Berry ou bien venue du japon, du Danemark. Entre les deux ? Pas grand-chose de commun. Pourtant, de plus en plus, la glaise ou l’argile se prêtent à des essais de céramique artisanale. C’est le cas chez Hala Matta. «La céramique fait partie de ces matériaux traditionnels, simples, qui impliquent la main de l’homme», explique la céramiste.

Les mots s'enchaînent, fluides et précis, suivant tranquillement le lit de sa pensée tandis que Hala Matta tire sur un genre de cigarette électronique, à grandes inspirations nerveuses. «  Il y a l’expo de Joy Marini [galeriste spécialisée dans le design, NDLR] qui part aujourd’hui ; celle de Paris à finir… » Dans son appartement de Clemenceau, où les tableaux des plus grands artistes libanais sont accrochés (Hala Matta est la femme du galeriste Salah Barakat), elle parle de matière, de grain, de cuisson et de ces trois vies. «J’ai démarré dans la finance. Jeune, je ne savais pas ce que je voulais faire et cela semblait un choix raisonnable.» Elle passe finalement 25 ans en France, notamment comme directrice marketing chez Louis Vuitton. «A un moment, je ne m’y voyais tout simplement plus. Quand je faisais des interviews de recrutement, expliciter à une jeune femme que cela faisait 20 ans que moi je faisais ce job… c’était juste impossible.»

Elle rentre dans la région, les pays du Golfe d’abord, puis Beyrouth où elle dirige un temps Boutique 1, un concept-store axé sur les marques du luxe. Mais là encore elle se dit qu’autre chose l’attend. Enceinte, elle lâche tout pour simplement malaxer la terre. «Certes, je pouvais me le permettre. Mais je ressentais aussi une forme exacerbée de violence dans le monde de l’entreprise». Un premier stage chez la céramiste libanaise Nathalie Khayyat en 2012 : c’est le choc et un nouveau virage. Elle devient artisan "potière". «Depuis je n’ai pas cessé un seul jour de malaxer la terre».


Crédit photo : Chérine Jokhdar


Ses créations vont de simples tasses à des formes de mobiliers comme des lampes. « Mais ce que je préfère travailler, ce sont les panneaux décoratifs muraux. » Au fur et à mesure, elle s’affranchit de l’utilitaire pour donner libre cours à sa fantaisie. Des pièces comme des œuvres d’art, très marquées par le style des seventies, autant par la forme que par le choix des couleurs. « Dans le monde de l’entreprise, j’avais des fourmis dans les jambes tous les deux ans : je voulais un nouveau poste, un nouveau défi… Aujourd’hui je savoure une lenteur bienheureuse et je me donne dix ans pour être fière de ce que je réalise. » Il n’est plus alors question de se servir (ou si peu) de ses créations, mais de les apprécier.

Derrière elle, sur des étagères, des tasses, des pots, d’autres objets encore sèchent à l'air libre, en attendant les 1 200 °C qui leur donneront leur forme définitive. Hala Matta attrape une tasse : « oui, bon… Je débutais ». Elle la repose, montre un pot : « ceux-là, je les réfléchis dans le cadre d’une collaboration avec la fondation Huguette Caland. » Son atelier, qu’elle a nommé Namika, Hala Matta le voit comme une « plateforme collaborative » : le lieu fonctionne comme une « petite fabrique » qui permet à des potiers étrangers notamment d’approcher le marché libanais. C’est ainsi que le grec Théodoris Galigalidis a pu vendre certaines de ses pièces lors de la Beirut Design Fair l’an passé.

Parmi ses récentes collaborations, celle qu’elle réitère en ce mois de mai avec le peintre français Pierre Malbec et le couturier Rabih Kairouz. « Ce sont des morceaux de ses toiles reprises dans les motifs de mes céramiques…  C’est extrêmement esthétique. Il y a une forme d’osmose entre nos créations respectives ». En tous les cas, une histoire de rencontre. Exposition patterns & forms, Maison Rabih Kayrouz 38 Boulevard Raspail 75007 paris