La figure du “je” en littérature n’est pas nouvelle : des correspondances, rêveries, confessions, mémoires ou carnets chers au XIXe siècle jusqu’au courant de l’autofiction au XXe siècle, ce “je” a revêtu des formes multiples à travers les époques. Les derniers temps, qui ont vu fleurir toutes sortes de mutants littéraires ayant en commun l’écriture de l’intime, ne sont pas en reste. Diaristes contemporains, blogs transmués, fragments d’intériorité, écrits-parlés accompagnés de la bande son ou de l’image, collage-collecte recyclage de souvenirs ou romans-photos…

Nathalie Kuperman, cependant, renouvelle le genre, à travers l’autoportrait à l’aigre-doux de Juliette, son double romanesque. Mais quel genre ? «Le genre de fille à tenir la porte, à ne plus supporter qu’on lui parle sur un certain ton, à repenser tout à coup au premier mec avec qui elle a couché, à envoyer des e-mails ou des SMS tard le soir» (qu’elle regrette le lendemain matin en les relisant). La petite cinquantaine, « mère d’une adolescente qui n’accepte de se promener avec elle que trois mètres derrière, flanquée d’un ex qui souffle d’ennui dès qu’elle s’adresse à lui et d’un collègue qui la rabaisse plus bas que terre », la narratrice nous livre le récit de son quotidien sous forme de réflexions marquées du sceau de l’autodérision. Le genre de fille qui se laisse déborder par les situations, son imagination ou ses résolutions.

On est à hauteur des choses matérielles, des tâches domestiques ritualisées, tous ces petits riens, qui, tels de nouveaux tropismes, sont autant de prétextes pour explorer la difficulté de vivre… Ensemble, les relations complexes qui se tissent entre les êtres et dresser une satire douce-amère de nos sociétés modernes confites de solitude. Un one-woman-show littéraire subtil et drôle où la mélancolie affleure à chaque phrase.

“Je suis le genre de fille”, Nathalie Kuperman, éditions Flammarion, 18 euros.