D’emblée Jón Kalman Stefánsson prévient le lecteur : «Impossible de raconter une histoire sans s’égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et reculer» et c’est toute sa force que d’y réussir.

Si son dernier roman n’obéit pas à une construction linéaire, c’est qu’il est à l’image de la vie elle-même : fragmentée, ballottée entre souvenirs heureux et malheureux, présent et passé, rêves, doutes et regrets. Inutile donc de chercher à le résumer, Asta se ressent, se savoure, se lit. À haute voix de préférence tant sa langue est baignée de poésie. Elle hypnotise, envoûte, ensorcelle.

Sa lecture nous embarque pour un voyage sensoriel et magnétique aux confins de l’Islande, sur les traces d’Asta, héroïne éponyme du roman. Asta, sa beauté, sa force et sa fragilité, sa mélancolie, son sourire tel «une larme à la commissure des lèvres». Née de l’amour fou entre Sigvaldi un marin pêcheur et Helga sa femme aussi sulfureuse qu’alcoolique, on la suivra de l’enfance chez sa nourrice à l’âge adulte, de Reykjavik aux fjords de l’ouest jusqu’à Vienne où elle s’expatriera pour ses études.

À travers son destin et celui enchevêtré de personnages à l’âme aussi tourmentée que les paysages islandais, au cœur blessé et aux appétits de vivre démesurés, Stefánsson nous convie à une véritable expérience métaphysique. Il interroge le sens de l’existence tout entière et la quête du bonheur entre amour et passion, raison et sentiments. Car à une lettre près, Asta signifie “amour” en islandais (ast) et c’est bien la question qui traverse tout le livre tel un fil rouge.

L’amour sous toutes ses formes : fraternel, maternel, filial, passionnel. Son urgence et son impossibilité. Asta, c’est l’histoire de l’incommunicabilité foncière entre les êtres, du temps qui passe, du temps perdu. C’est notre histoire qui nous est donné à lire.

Asta, de Jón Kalman Stefánsson, traduit de l’islandais par Éric Boury, éditions Grasset, 25 dollars.

Sylvia Rozelier