Carlos Ghosn est incarcéré à Tokyo. Régime sec pour le millionnaire, emprisonné dans un centre pénitentiaire “austère” où sont notamment reclus les condamnés à mort. Et, pour l’heure, Carlos Ghosn n’a pas pu faire entendre sa voix, otage d’un système qui le prive de la présomption d’innocence.

À Beyrouth, c’est l’absolue consternation. Que lui reproche-t-on exactement ? Ghosn aurait sous-évalué ses émoluments et omis d’en déclarer une partie à la Bourse de Tokyo. La belle affaire !

Du Liban, dissimuler une partie de ses salaires ou – comme l’accuse Nissan – commettre un abus de bien social paraît un péché véniel. Après tout, c’est ici un sport national ! À l’époque du scandale des “Panama Papers”, qui avait mis à jour un système d’évasion fiscale planétaire, on y retrouvait près de 600 sociétés et personnalités libanaises. Récemment, les élites politiques et financières du pays ont même fait voter dans le cadre des “lois d’urgence nationales” – on savourera à sa juste mesure l’urgence de l’enjeu – une révision de la loi sur les sociétés offshore. Le texte leur permettant de mieux tenir le fisc libanais en respect.

On comprend alors que nombre d’entre nous ne voient pas où est le problème avec “l’affaire Ghosn”. « Il faut que les Européens aillent le libérer », commentait un Libanais croisé dans la rue (des pétitions circulent d’ailleurs sur le Net). Pour cet homme, la véracité (ou non) des faits reprochés importait peu. Le gouvernement lui a d’ailleurs emboîté le pas, assurant que l’État n’abandonnerait pas le plus illustre de ses enfants. Peu importe que nous n’ayons jamais vraiment bénéficié de la protection de l’État, Carlos Ghosn n’est-il pas l’ambassadeur d’une réussite libanaise exemplaire ? Grâce à lui, ceux qui ne trouvent pas du travail au Liban – ils sont légion, le chômage des jeunes frôlerait les 40 % – se prennent pour autre chose que de simples migrants.

On a même vu fleurir des “Carlos Ghosn Président” comme s’il avait passé l’épreuve de l’ordalie pour assumer la fonction de chef de l’État. Bien sûr, c’est en partie de l’humour noir. Il est vrai aussi que ses qualités de “cost killer” pourraient servir la réforme de l’État. Mais, ce “côté obscur” du personnage, tel que désormais le décrit Nissan, incarne ce qu’un “petit père de la nation” – ou sa version locale, ce fameux “bay el-kel” – doit posséder d’autoritarisme et de narcissisme pour remplir la charge. Qu’importe le fait que plus les dirigeants sont narcissiques, plus la probabilité de fraude est importante. « Cela vient avec le job », dira même l’un de ses laudateurs.