Déjouant les codes du genre, Abnousse Shalmani écrit l’exil sous forme de tragicomédie familiale où l’humour et le merveilleux forment un rempart contre les larmes. La dérision s’invite au cœur de la gravité et les contes soufis imprègnent l’écriture romanesque.

Shirine a neuf ans quand sa famille fuit la révolution islamique en Iran pour s’installer à Paris dans l’appartement de sa tante, l’aînée des sœurs communistes. On pousse les meubles, on étale les matelas par terre, les corps connaissent l’exiguïté et la promiscuité. La famille au complet, le déclassement.

Pour autant, pas question de s’avouer vaincus ! Du salon où ils ont importé un morceau de leur Iran, ils poursuivent ensemble le combat idéologique et s’évertuent à maintenir les apparences d’une bourgeoisie déchue comme s’il en allait de leur identité. Ainsi les exilés n’échapperont-ils pas au piège de la nostalgie.

Shirine vit au milieu de cette famille aussi excessive que dysfonctionnelle, entourée d’une tante tyrannique, d’un grand-père violent et incestueux, d’un petit frère œdipien sorcier à ses heures. En planque sous le canapé, elle n’en perd pas une miette, découvre de trop lourds secrets, assiste impuissante aux humiliations quotidiennes que subissent ses parents, ronge son frein et compte les points en attendant.

Du huis clos familial à la rencontre du monde, elle fait l’expérience de l’exil. « Une claque qui vous déstabilise à jamais » et vous place en équilibre précaire entre deux pôles à jamais séparés : entre le pays d’accueil qui n’a pas le visage du refuge et le pays natal à jamais perdu.

Dans cet interstice où il faut inventer un lieu à soi, le façonner à la mesure de son propre désir, elle apprendra à grandir, cherchera le chemin de l’émancipation. Le lecteur embarque sur ses traces, pour un voyage réjouissant aux allures d’épopée.

“Les exilés meurent aussi d’amour”, Abnousse Shalmani, éditions Grasset, 23 dollars.