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Plages mythiques de Beyrouth : de l’âge d’or au règne du béton

La mer n’est quasiment plus accessible aux habitants de la capitale. Mais certains urbanistes veulent croire qu’on peut encore rendre le littoral au public. Une utopie ? 

Rendre le littoral et la mer aux Beyrouthins. C’est le projet auquel se sont attelés Beirut Madinati et l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth (AUB).

Ensemble, ils ont imaginé un plan d’aménagement urbain pour faciliter l’accès du littoral de Beyrouth, qui court sur 12 kilomètres de côtes. Initié en 2018, «ce plan se veut un plaidoyer pour la réaffirmation de la côte de Beyrouth en tant qu’espace partagé, non bâti et ouvert à tous», explique Mona Fawaz, professeure d’urbanisme à l’AUB, qui a encadré le projet.

«Notre souhait est que le littoral s’inscrive à nouveau dans le paysage de la ville», ajoute-t-elle. «Car si la capitale libanaise continue sur la voie de privatisations de sa côte et de sa construction, alors Beyrouth ne sera plus une ville balnéaire», prévient-elle.

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Pour que Beyrouth se réapproprie son bord de mer, les urbanistes et les architectes impliqués dans ce travail se sont d’abord penchés sur le découpage du front de mer de Beyrouth, en prenant appui sur les textes légaux en vigueur, notamment le “Plan directeur de Beyrouth” (1954) et le “Code de l’urbanisme” (1962).

Ce cadre juridique prohibe toute construction durable le long de la Corniche. Et ce même si les propriétés sont privées. Plusieurs décisions ont porté atteinte à cette limitation, en particulier la loi n° 402 de 1995, propre au secteur hôtelier de bord de mer, qui octroie aux propriétaires de terrains de 20.000 m2 le droit de doubler le pourcentage d’exploitation de leurs parcelles via un décret exceptionnel en Conseil des ministres et une approbation de la Délégation générale de l’urbanisme (DGU).

«Même si on se contente d’appliquer les lois existantes, des aménagements sont possibles et pourraient avoir une portée considérable», fait valoir Mona Fawaz. Le plan d’urbanisme, concocté par l’AUB et Beirut Madinati, met l’accent sur trois zones spécifiques.

D’abord, la région de Aïn el-Mreissé, où la municipalité envisage la construction d’une large estrade descendant dans la mer. «Au début des années 1900, ce quartier était connu pour ses activités aquatiques. Ce que les années 1960 ont confirmé en faisant de la zone le lieu de loisirs de la ville, explique Mona Fawaz. Il est nécessaire de perpétuer cette particularité.» L’équipe de Mona Fawaz préfère y favoriser l’installation de mobiliers urbains modernes, la construction d’aires de jeux pour les enfants et de piscines, ainsi que la réhabilitation du terrain de football de Nejmé et du parc d’attractions Luna Park.

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À Dalieh, lieu emblématique de rencontre des familles et petit port de pêche situé entre le Mövenpick et la Grotte aux Pigeons, l’attention des urbanistes se porte davantage sur la protection du patrimoine. «C’est la région où se situe la Grotte aux Pigeons, considérée comme l’emblème national du Liban et un joyau environnemental, insiste Mona Fawaz. Toute construction provoquerait une perte culturelle, sociale, environnementale et économique considérable.»

Le projet de Beirut Madinati et du Urban Lab de l’AUB envisage donc de démolir toutes les constructions illégales «en se basant sur l’article 19 de l’urbanisme, qui permet d’exproprier lorsqu’il est nécessaire de faire des jardins publics, applicable à ce cas».

Toutes les parcelles seraient donc expropriées et les propriétaires – sur cette zone, principalement les héritiers de Rafic Hariri –, compensés, via un système d’échange avec d’autres terrains, d’une valeur équivalente, afin que ni le propriétaire ni la municipalité ne se trouvent perdants. Reste enfin l’aménagement de Ramlet el-Baïda, la «dernière plage publique de Beyrouth».

Architectes et urbanistes se sont inspirés des « stations balnéaires françaises, espagnoles ou encore libanaises, comme celle de Tyr ». L’application du cadre légal entraînerait, selon elle, «la destruction impérative de l’hôtel Lancaster, inauguré en 2018 à Ramlet el-Baïda et l’expropriation des lots privés le long de la plage».

La zone serait de surcroît agrandie en s’adjoignant notamment les espaces réservés jusque-là, sur la route, aux parkings des véhicules, qui, eux, deviendraient souterrains. Sur cette nouvelle étendue, des commerces et restaurants pourraient alors s’installer afin de créer une réelle promenade de bord de mer.

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Bien sûr, de nombreux obstacles demeurent avant l’acceptation de pareil schéma de développement. En premier lieu, l’appétit des promoteurs immobiliers, dont les relais au sein de l’État et du gouvernement leur permettent souvent de déroger aux règles d’urbanistes. Mona Fawaz veut pourtant croire qu’il existe aujourd’hui une fenêtre de tir.

«De trop nombreux scandales ont écorné l’image de marque des politiques et des décideurs. Ils ont aujourd’hui besoin de montrer patte blanche. Redonner la mer aux Beyrouthins pourrait en être un moyen.»

C’est d’ailleurs pourquoi l’équipe de l’Institut Issam Farès travaille à la révision des actuelles règles d’urbanistes pour permettre une répartition plus pérenne entre domaine public et privé, et assurer que ce qui est public – ou ce qui a été historiquement d’usage public comme les terrains privés à proximité du littoral – le reste .

«Nous voulons présenter un texte de loi qui faciliterait le travail de la Direction générale de l’urbanisme (DGU) ainsi que de la municipalité de Beyrouth et qui pourrait se servir de modèle pour les autres régions.»

Ce travail est presque terminé et devrait être présenté avant la fin de l’été au public comme aux édiles.   

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