Elles sont mortelles ces pompes ! Les chaussures en question, des mocassins verts en serpent véritable, le jeune Yovani les a négociées à la morgue. Ici, vu le nombre de macchabées, il n’y a que l’embarras du choix pour faire son shopping. Après tout, qui cela dérangerait ? Les morts ne risquent pas de les emporter au paradis. Surtout qu’à Villeradieuse, en Colombie, le Paradis, c’est le nom d’un bar et que les cadavres sont rarement des enfants de cœur. Il s’agit le plus souvent de voyous, sapés comme des princes. Alors autant que leurs effets profitent aux jeunes des quartiers déshérités. C’est ainsi que Manuel profite de la combine. Relooké de pieds en cape, il pavane dans les rues de la ville.

Personne n’y trouverait à redire si ces vêtements de seconde main n’avaient appartenu à Chepe Molina, un porte-flingue à la solde de deux gros narcotrafiquants de la ville. Don Efrem et Moncada se partagent le territoire à coups de kidnappings, meurtres en tout genre, attentats à la bombe et autres réjouissances sanglantes. Pas le genre de types à plaisanter.

Ainsi à Villeradieuse se côtoient les pires situations sociales et politiques : trafic de drogues, corruption et pauvreté au rythme de la musique latino et des litres d’aguardiente. Et c’est toute l’audace de cette comédie burlesque et décalée que d’aborder les sujets les plus graves avec un sens poussé de la formule et du caustique. Démonstration faite s’il en était besoin que la littérature peut rire de tout, à condition qu’elle soit portée par le talent.

“Le mort était trop grand”, Luis Miguel Rivas, traduit de l’espagnol (Colombie), éditions Grasset, 27 dollars.