Le gouvernement syrien promeut, depuis quelques années, les partenariats public-privé (PPP) et la privatisation de la gestion des biens publics comme base de reconstruction du pays. La mise en œuvre de cette politique se heurte toutefois à plusieurs obstacles.

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En juin dernier, Sputnik, l’agence russe d’information, affirmait que des entreprises russes étaient intéressées par le projet d’agrandissement de l’aéroport de Damas, afin de réhabiliter l’ancienne structure et créer un nouveau terminal. Le projet serait octroyé sur la base d’un contrat BOT (Build, Operate, Transfer), a précisé l’agence. Réagissant à l’article, le ministre des Transports syrien a nié l’ouverture de négociations officielles avec les Russes, mais reconnu que des discussions informelles étaient en cours. Ce projet, comme d’autres contrats attribués ces derniers mois, confirment la volonté des autorités syriennes de recourir à des partenariats public-privé (PPP) pour réhabiliter les infrastructures du pays tout en récompensant les pays alliés et les proches du régime.

Damas s’inscrit ainsi dans un processus régional de privatisation des biens publics, qui avait commencé avec l’approfondissement des politiques néolibérales au début des années 1990, principalement dans les secteurs de l’industrie, l’immobilier et la finance. Ces dernières années, c’est la promotion des PPP comme nouvel outil de gestion de biens publics par des entités privées qui a été encouragé par les institutions internationales à travers le monde, y compris au Moyen-Orient.

Le modèle des PPP est particulièrement encouragé dans certains secteurs comme les télécommunications, l’électricité ou la santé. Les institutions financières internationales insistent d’ailleurs souvent sur la nécessité de privatiser des infrastructures publiques en tant que condition à la mise à disposition de prêts. C’est le cas pour le Liban, par exemple, à qui les bailleurs de fonds ont imposé le recours aux PPP en contrepartie des 11 milliards de dollars d’aides promises lors de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) en avril 2018.

Les PPP sont également un élément fondamental dans la stratégie économique et politique de Vision 2030 promue par le prince Mohammad ben Salmane en Arabie saoudite. Le Programme de transformation nationale 2020, qui a été présenté après la Vision 2030, détaille les politiques économiques de la nouvelle équipe dirigeante saoudienne et place le capital privé au centre de l’économie saoudienne. Ce plan a été décrit par la Financial Times comme s’apparentant à un “thatchérisme saoudien”. La Syrie, malgré la guerre et les destructions, n’est pas à l’écart de ces dynamiques régionales.

Le partenariat national, nouvelle stratégie économique

Le gouvernement syrien a annoncé sa nouvelle stratégie d’économie politique en février 2016. Intitulé le “partenariat national”, il remplace “l’économie sociale de marché” en vigueur avant le soulèvement populaire initié en mars 2011.

La loi sur les partenariats public-privé, adoptée en janvier 2016, et qui autorise le secteur privé à gérer et développer les biens de l’État dans tous les secteurs de l’économie, à l’exception du pétrole, est à la base de cette nouvelle stratégie.

À l’époque, le ministre de l’Économie et du Commerce extérieur, Humam al-Jazaeri, avait expliqué que la loi était « un cadre juridique pour régir les relations entre les secteurs public et privé et (répondait) aux besoins économiques et sociaux croissants de la Syrie, en particulier dans le domaine de la reconstruction », et visait à donner au secteur privé la possibilité de « contribuer au développement économique en tant que partenaire principal et actif ».

Deux ans plus tard, en septembre 2018, le Premier ministre Imad Khamis annonçait aux entreprises et hommes d’affaires participant à la Foire internationale de Damas que le gouvernement allait proposer 50 projets d’infrastructure aux investisseurs privés dans le cadre de partenariats public-privé. Parmi les secteurs les plus souvent évoqués, celui de l’électricité, même si le recours aux PPP dans ce secteur entraînerait une hausse des tarifs pour les consommateurs et les industriels.

En octobre 2018, le député et président de la Chambre d’industrie d’Alep, Fares Shehabi, appelait aussi les autorités à élargir le processus de PPP au secteur industriel public. L’objectif est de permettre aux hommes d’affaires d’investir dans les industries publiques rentables, tandis que les industries déficitaires seraient progressivement abandonnées par l’État.

Problèmes de financements et sanctions

Il y a cependant un certain nombre de défis à cette politique de promotion des PPP en Syrie, en plus de l’instabilité politique et des destructions. Le plus important est le manque de financements et fonds privés pour développer cette politique. Au niveau national, les financements bancaires sont a priori largement insuffisants. Le total des fonds des quatorze banques commerciales du secteur privé opérant dans le pays atteignait 1,7 milliard de livres fin 2018, équivalent à environ 4,4 milliards de dollars à l’époque, contre 13,8 milliards de dollars en 2010. Certaines des six banques appartenant à l’État étaient plus grandes que leurs homologues du secteur privé, notamment la Banque commerciale de Syrie. Cependant, ces banques ont de nombreuses créances douteuses.

Pour financer les grands projets, Damas compte sur des acteurs étrangers, notamment des pays alliés au gouvernement syrien comme l’Iran et la Russie. Les discussions sont, par exemple, très avancées pour la gestion du terminal à conteneurs du port de Lattaquié à l’Iran. Ce terminal était jusque-là géré par une entreprise privée, Lattakia International Container Terminal (LICT) qui est une joint-venture entre Terminal Link, une filiale de la société française CMA CGM, troisième société de transport maritime au monde, et Souria Holding, une grande société de holding créée en 2007 regroupant de nombreux hommes d’affaires syriens.

De son côté, la compagnie russe Stroytransgaz s’est vue attribuer en 2017 un contrat pour extraire 2,2 millions de tonnes de phosphate par an des mines situées au centre de la Syrie pour une période de cinquante ans. La société a également gagné d’autres contrats pour des projets d’infrastructure, notamment deux usines de traitement du gaz, et a repris le développement et la gestion de la General Fertilizers Company, l’un des plus grands complexes d’engrais en Syrie situé près de Homs. En avril 2019, elle a obtenu aussi le contrat de gestion du port de Tartous pour une période de 49 ans. Selon le ministre syrien des Transports, Stroytransgaz investira 500 millions de dollars, notamment pour développer et élargir le port et permettre aux plus gros navires d’accoster. Ces contrats permettront désormais à Stroytransgaz de superviser l’ensemble de la chaîne de production, de transport et d’exportation de phosphate, des mines au port.

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Néanmoins, ni Moscou ni Téhéran ne disposent des fonds ou capacités nécessaires pour investir massivement en Syrie, ces deux pays ayant leurs propres problèmes socio-économiques, auxquels s’ajoutent les sanctions internationales.

Les sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne à la Syrie constituent un obstacle à l’attraction de sociétés étrangères. En novembre 2018, les États-Unis ont intensifié leurs pressions sur la Syrie en annonçant qu’ils sanctionneraient toutes les parties (y compris les compagnies de transport, les assureurs, les propriétaires de navires, les gestionnaires et les exploitants) impliquées dans le transport de pétrole vers la Syrie.

Du point de vue du régime, ces contrats sont une façon de récompenser le soutien des pays alliés mais aussi les proches du régime en Syrie. La politique de promotion des PPP apparaît comme un moyen de transformer les conditions générales d’accumulation des capitaux et de renforcer les réseaux clientélistes d’hommes d’affaires proches du pouvoir. Il est très probable que les PPP renforcent l’influence et le contrôle d’hommes d’affaires proches du régime sur les biens publics au détriment des intérêts de l’État et des intérêts publics, et consolident l’autoritarisme du régime.