Trois questions à l’avocat Paul Morcos, fondateur du cabinet Justicia et auteur du “Secret bancaire face à ses défis”

Plusieurs hommes politiques ont annoncé avoir levé le secret bancaire sur leurs comptes bancaires. Cette initiative répond-elle à des lacunes législatives ?

Il n’y a pas lieu d’attendre une initiative d’un quelconque parti politique pour lever le secret bancaire. En 2015, le Liban, que le Groupe d’action financière et le Forum international menaçaient alors de mettre sur leur liste noire, a voté la loi n°44. Ce texte, qui remplace la loi 318 de 2001, a étendu la définition du blanchiment d’argent à une vingtaine de crimes quand l’ancienne loi n’en prévoyait que sept. Depuis, les cas de corruption, d’enrichissement illicite et de détournement de fonds publics font partie des crimes qui justifient automatiquement et de plein droit la levée du secret bancaire. La Commission d’investigation spéciale de la Banque du Liban, à qui ont été délégués les pouvoirs d’investigation en matière de blanchiment d’argent et de lutte contre les crimes financiers, est à même de prendre toutes les décisions nécessaires. Cette commission peut en outre saisir des biens immobiliers qui appartiendraient aux personnes accusées de corruption ou d’enrichissement illicite.

La loi de 2015 a-t-elle déjà été utilisée ?

Cette loi a été utilisée dans le cadre de poursuites internationales. En 2018, la CES a été saisie de 489 cas et a estimé devoir lever le secret bancaire à 30 reprises, gelant aussitôt les comptes et les avoirs incriminés. En revanche, la loi a rarement été utilisée pour lutter contre des cas de corruption locale. Et cela est dû à une absence de volonté politique.

Le cadre existant serait alors suffisant pour lutter contre la corruption du personnel politique ?

Pas vraiment. Le corpus législatif doit être amélioré, en particulier la loi sur l’enrichissement illicite, adoptée en 1954 et amendée en 1999, dont certaines clauses entravent son action. Elle impose par exemple au citoyen qui veut porter plainte une garantie bancaire de 25 millions de livres libanaises afin de «garantir sa bonne foi». Après enquête, si l’action en justice est rejetée, le plaignant s’expose en plus à une amende de 200 millions de livres libanaises au moins et de trois mois à un an de prison. On comprend pourquoi dans ces conditions aucune plainte n’ait été déposée…