Le résultat de trente années de politique économique absurde nous a amenés à cette faillite retentissante de l’ensemble de l’économie libanaise, y compris son système monétaire et bancaire dont nous étions si fiers. Pris dans l’euphorie de l’argent facile, ceux qui mettaient en garde contre le “miracle libanais” n’ont pas été écoutés.

Qui aurait pu l’être quand, grâce à la parité de la livre libanaise avec la devise américaine, on empruntait des dollars à 6 ou 7% pour les échanger contre des bons du Trésor dont les taux en livres libanaises ont atteint pas loin de 40% en 1995 : une machine à sous scandaleuse qui est à l’origine de l’accumulation de la dette publique.

Ce “capitalisme de rente” s’est doublé d’une politique de libre-échange sans considération pour les industries nationales. Sous le gouvernement de Rafic Hariri des accords de libre-échange ont certes été signés avec de nombreux pays.

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Mais de manière inconsidérée : celui, par exemple, avec l’Union européenne (2002) l’a été en échange du versement de dix millions d’euros pour financer des réformes destinées à augmenter la capacité compétitive de l’économie libanaise, alors que le gouvernement de Salim el-Hoss (1998-2000), qui l’avait précédé, exigeait 350 millions d’euros pour le ratifier.

Ministre des Finances de ce gouvernement, j’avais encouragé l’industrie libanaise, lançant le slogan “exporter ou mourir” maintenant des droits de douane protecteurs pour la production nationale. Mais, du fait de la politique de libre-échange du gouvernement de Rafic Hariri, le déficit de la balance commerciale ne pouvait qu’augmenter considérablement et le secteur industriel souffrir de l’ouverture de nos frontières, non seulement avec l’UE, mais avec d’autres partenaires commerciaux tels que la Turquie ou l’Arabie saoudite qui, elle, avait mis en place un secteur industriel et même agroalimentaire très fortement subventionné.

Dans ces conditions, l’industrie libanaise a subi une concurrence forte d’autres pays malgré ses capacités productives relativement développées. L’industrie florissante du meuble fut par exemple concurrencée de façon déloyale par celle de la Turquie dans un premier temps puis celle de la Chine dans un second temps.

Seule l’industrie du vin put prospérer en important du raisin syrien mélangé au raisin libanais.

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Il conviendrait ainsi de s’interroger sur le devenir des Cimenteries de Chekka, qui produisent et vendent à des prix bien supérieurs au prix du marché international, alors que la région pourrait être une région touristique de premier plan.

De même, il faudrait savoir si les usines de produits chimiques, situées dans cette même région du Nord, ne sont pas trop polluantes pour être conservées.

Dans ce registre, on ne peut aussi manquer d’évoquer le scandale des carrières. La préservation de l’environnement doit devenir une priorité et il convient de refuser tous les projets insensés d’incinération des déchets au lieu de les traiter et de les recycler.

En ce sens, je suggère la création d’un ministère des Municipalités et de l’Environnement ainsi que la création de conseils économiques au niveau de chaque mohafazat et de chaque caza, tel que cela avait été prévu par le général Fouad Chéhab.

Cependant que le Conseil de la reconstruction et du développement devrait être réformé pour séparer les études de l’exécution des investissements publics et être soumis aux différents organes de contrôle de l’État. Sans oublier la nécessité de mettre fin aux autres organismes publics ayant terminé leur travail, tel que la Caisse des réfugiés ou le Conseil du Sud.

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Bref, aujourd’hui, il convient de redresser la barre. Notre politique économique doit tendre à relancer nos capacités productives, car c’est la seule façon de sortir le pays de l’ornière dans laquelle il est tombé.

Mais ceci exige à son tour que tous les cadeaux faits par la Banque du Liban aux banques sous le titre pompeux de “financial engineering” soient revus, et qu’une enquête approfondie soit menée sur la façon dont la plus grande partie des avoirs des banques ont été déposés auprès de la Banque centrale. Je rappellerai aussi que contrairement aux dispositions du Code de la monnaie et du crédit, la Banque du Liban détient la compagnie d’aviation nationale, la Middle East Airlines.

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Par ailleurs, alors qu’environ 50% des Libanais pourraient tomber sous le seuil de la pauvreté, il convient d’instituer un mécanisme pour les en préserver, d’autant que les prix intérieurs flambent. De même, il est urgent de protéger les avoirs (tous en livres libanaises) de la sécurité sociale du risque de dévaluation.

Il faudra de plus qu’à l’avenir le ministère des Finances soit géré par un technicien des finances publiques ou du moins que le titulaire ministériel du poste s’appuie sur la compétence de la Direction générale des finances. La création de l’impôt général sur le revenu s’impose depuis longtemps pour augmenter les recettes fiscales.

Enfin, il convient de restructurer notre dette publique qui a toutes les caractéristiques d’une “dette odieuse” – c’est-à-dire une dette qui a servi à financer des actions contre l’intérêt des citoyens et de l’État, et dont les créanciers avaient connaissance. Pour cela, l’une des options serait d’effacer une partie des intérêts qui ont pu être payés sur cette dette. Certes, ceci impactera la profitabilité des banques, dont une bonne partie venait de la gestion scandaleuse de la dette publique.

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Par ailleurs, notre système monétaire doit être entièrement revu. Très peu de pays ont des régimes de taux de change fixe, car cela empêche l’adaptation rapide de l’économie aux changements monétaires et commerciaux internationaux. En fait, le taux de la livre libanaise devrait être calculé sur un panier de devises de nos principaux partenaires commerciaux, euro en tête puisque l’UE est notre principal partenaire commercial. Ce taux devrait être flottant dans des limites à définir (managed floating rate). Bien sûr, pour effectuer un tel changement, il faudra un changement des responsables politiques actuels dont la gestion catastrophique des trente dernières années nous a menés là où nous sommes. Un renforcement des compétences de la Commission de contrôle des banques et son autonomisation complète par rapport à la Banque centrale seront indispensables. * Ministre des Finances entre 1998 à 2000, économiste, chercheur et auteur de nombreux ouvrages d’histoire. 

* Ministre des Finances entre 1998 à 2000, économiste, chercheur et auteur de nombreux ouvrages d’histoire.