Avant de s’exiler en Espagne, Karina Sainz Borgo a exercé le métier de journaliste à Caracas. De son expérience des années Chavez, elle tire le portrait décapant d’un Venezuela en ruine.

«Nous n’étions pas un pays, nous étions une fosse sceptique.» Ainsi s’exprime l’héroïne de ce premier roman aux métaphores puissantes et créatives. Le ton est donné, la plume vive et acérée. Une écrivaine est née. À travers son double de fiction, elle interroge un système dans son ensemble.

Comment en est-on arrivé là ? En lieu et place de la modernité promise par les gouvernants successifs, à la désintégration complète d’un pays. «Quelque chose de l’ordre de la dépravation.» Lorsque le roman s’ouvre, Adélaïda, l’héroïne, vient d’enterrer sa mère et doit apprendre à survivre dans un quartier contrôlé par les fils de la révolution. La rue est à feu et à sang, jonchée de cadavres, théâtre de tous les dangers, de toutes les violences. Lynchage et pillage sont le quotidien d’une ville sans issue où «vivre se résume à partir à la chasse et en revenir vivant».

Adélaïda se fait confisquer ses biens par une bande de femmes à la solde de la Maréchale. En l’espace de quelques jours, elle a tout perdu. L’appartement où elle a toujours vécu, ses livres, papiers, meubles et souvenirs, tous ses repères.

Dans l’urgence, elle se réfugie chez sa voisine, la fille de l’Espagnole, dont elle découvre le cadavre et le passeport. C’est alors que germe le projet – ô combien romanesque – d’usurper l’identité de la morte pour fuir la guérilla. Quitter « une terre qui expulsait les siens avec autant de force qu’elle les engloutissait ». «Cette nation construite sur la fracture de ses propres contradictions, la faille tectonique d’un paysage qui menaçait de s’effondrer sur ses habitants.» Parions que cela rappellera à beaucoup de Libanais leur présente situation. 

Livre Karina Sainz Borgo La fille de l'Espagnole, Éditions Gallimard.