C’est la fin d’une époque. L’hôtel Alexandre, à Achrafié, ferme définitivement ses portes après plus de 50 ans d’activité. L’histoire de l’établissement remonte en effet au début des années 1960, date à laquelle Fathi Ibrahimchah construit l’hôtel avec plusieurs associés, avant d’en devenir l’unique propriétaire en 1968. « Nous ne nous sommes jamais considérés comme une famille d’hôteliers. Nos activités ont toujours tourné autour de l’industrie textile avec l’entreprise Cedartex, le négoce international et les finances », explique son fils, Christian Ibrahimchah, propriétaire de l’hôtel avec ses quatre frères et sœurs.

À l’origine, l’établissement comptait 225 chambres et ciblait une clientèle modéré, composée essentiellement de touristes en provenance de l’Europe de l’Est. Mais après le début de la guerre, d’importants travaux sont réalisés pour le repositionner en hôtel 4 étoiles. Il passe alors à 158 chambres et devient une adresse prisée des hommes d’affaires, chercheurs et diplomates à Beyourth-Est, profitant de sa proximité de l’ambassade de France et des hôpitaux environnants. L’hôtel restera ouvert durant toute la durée du conflit, à l’exception de l’année marquée par les combats opposant le général Michel Aoun aux Forces libanaises. « À la fin de la guerre, c’était un gruyère », se souvient Christian Ibrahimchah, qui a fait des études d’économie à l’Université américaine de Paris avant de revenir au Liban en 1992.

Après la guerre, l’hôtel Alexandre défend sa place dans le paysage libanais, mais finit pas être rattrapé par les crises successives qui secouent le pays. « Les affaires marchaient bien jusqu’au début des années 2010, raconte le fils du fondateur. Nous avons choisi de maintenir l’activité tant que les pertes étaient acceptables. » Mais ces dernières années, avec la détérioration de la situation économique et la chute du nombre de touristes, l’hôtel n’était plus que l’ombre de lui-même. Malgré un bon rapport qualité/prix, environ 85 dollars la nuit avec petit déjeuner, le taux d’occupation était au plus bas : 35 % en 2017, 30 % en 2018, 25 % en 2019, soit à peine 20 à 30 chambres occupées, sans parler des premiers mois catastrophiques de 2020. « Il y a un moment où il faut arrêter l’hémorragie. Même dans les pires crises que le pays a traversées, nous n’avons jamais connu ça », soupire Christian Ibrahimchah, qui ne croit pas à une reprise rapide. « L’horizon est bouché aujourd’hui. Le pays a trop longtemps vécu dans un modèle économique qui n’était pas le sien, leurré par la parité livre/dollar. Le Liban n’a jamais non plus été une destination touristique. Quel est le fou qui va payer un billet d’avion trois fois plus cher qu’en Grèce ou à Chypre et des restaurants deux fois plus cher qu’en Espagne ? »

Qu’adviendra-t-il de l’hôtel Alexandre? Sans la pression d’un emprunt bancaire, la famille Ibrahimchah dit ne pas vouloir vendre dans le contexte actuel. Les propriétaires, qui estimaient la valeur de l’établissement de 10 000 m2 et ses 4 000 m2 de terrain entre 30 ou 40 millions de dollars avant la crise, sont dans l’attente de jours meilleurs.

Si l’hôtel n’accueille plus de clients, une petite dizaine d’employés restent en fonctions pour assurer la maintenance. Ils étaient encore une cinquantaine en septembre dernier.