Un couple d’Américains d’origine libanaise ayant déposé 18,5 millions de dollars au Liban se dit victime d’un système de Ponzi et réclame plus de 150 millions de dommages et intérêts.

Cour du District Sud de New York
Cour du District Sud de New York

Joseph et Karen Daou, deux citoyens américains d’origine libanaise, résidents en Floride, ont déposé le 10 juin une plainte auprès de la Cour du District Sud de New York contre la Banque du Liban (BDL) et trois banques commerciales: La BLC, Al Mawared Bank, et le Crédit Libanais. Les deux entrepreneurs, qui dirigent la société SAVIS Inc en Floride et qui ont déposé 18,5 millions de dollars au Liban estiment avoir été victimes d’un système de Ponzi, orchestré par les banques et la Banque centrale, et réclament pas moins de 150 millions de dollars en dommages et intérêts.

La plainte de 75 pages détaille les mésaventures du couple avec les trois banques, qui ont refusé de transférer aux Etats-Unis le montant de leurs dépôts arrivés à échéance.

Lire aussi : Action collective aux États-Unis contre des banques libanaises

Tout commence le 26 avril 2016, lorsqu’un ami de Joseph Daou et directeur d’agence à la BLC, Jean-Claude Zakhia le convainc d’ouvrir, pour lui et sa femme Karen, un compte en dollars dans sa banque. Le couple est alors séduit par le taux d’intérêt généreux offert, de l’ordre de 9,5%, pour une maturité de seulement un mois. Le couple avait en effet insisté sur la nécessité de pouvoir accéder à cette liquidité pour financer des projets immobiliers aux Etats-Unis. «Les banques libanaises nous ont offert des taux très élevés, en toute connaissance de cause de la non-viabilité de cet arrangement», estiment les Daou en affirmant que les banquiers leur avaient assuré qu’ils pourraient «retirer ou transférer l’argent aux États-Unis librement chaque mois».

Mais les problèmes commencent à apparaitre le 20 septembre 2019 (avant le début du soulèvement du 17 octobre). Le couple adresse alors une demande de transfert à la BLC pour un montant d’environ 7,5 millions de dollars vers leur compte aux États-Unis. Selon les plaignants, la banque multiplie les excuses pour ajourner le transfert, tout en niant l’existence de restrictions sur le mouvement des capitaux. Ce n’est que le 8 novembre 2019 que leur banquier admet la mise en place d’un contrôle de facto des capitaux, dont seule «l’élite politique est exemptée», lit-on dans la plainte. Le directeur d’agence explique alors à ses clients qu’ils doivent se contenter d’un paiement à travers un chèque tiré sur la Banque du Liban qui, leur dit-il, pourrait être encaissé aux Etats-Unis.

Lire aussi : Les banques face aux risques de poursuites judiciaires

Mais malgré les assurances répétées de la BLC, ils ne parviennent pas à déposer le chèque auprès des banques américaines car la banque centrale libanaise «refuse de les honorer». Ils accusent ainsi la BDL d’avoir «exécuté le plan frauduleux de la banque», qui a en parallèle rayé la valeur nominale du chèque du compte du couple.

Le même scénario se répète avec le Crédit Libanais, auprès duquel ils avaient déposé 2,5 millions de dollars et la Banque Al Mawared, où leur solde était de 5,7 millions de dollars.

Une nouvelle alarmante

A ce stade, ni les banques concernées ni la BDL n’ont encore réagi. Une avocate interrogée par Le Commerce du Levant, sous couvert d’anonymat, a toutefois jugé la nouvelle «alarmante» en soulignant «la nature protectrice du système judiciaire américain, envers ses citoyens et sa devise» et sur l’obligation dans le droit américain qu’ont les banques «d’être transparentes dans l’échange d’informations avec leurs clients».

Le risque est important, la procédure pouvant éventuellement conduire à «une saisie des actifs des banques libanaises à l’étranger, mais aussi de la BDL», sachant que la majorité des réserves en or de la BDL se trouvent à Fort Knox à New York, et que la banque centrale détient presque l’intégralité (99%) des actions de la Middle East Airlines, qui risque de voir ses avions mis à terre.

Lire aussi : Les conséquences d’une restructuration de la dette du Liban

D’autant que cette plainte pourrait encourager d’autres personnes à saisir les tribunaux contre des banques libanaises.  «Beaucoup de personnes veulent déjà porter plainte. Il s’agit surtout de citoyens américains, car du fait de la FATCA, ils ne bénéficient pas du secret bancaire libanais vis-à-vis des autorités américaines, et par conséquent, ne sont pas limités dans leurs actions par des allégations d’évasion fiscale», commente-t-elle.

Si les procès se multiplient et si les plaignants obtiennent gain de cause, les banques risquent la faillite.

«C’est un scénario catastrophe, mais ce n’est pas impossible», prévient-elle.

Pour sa part, le député Michel Daher a réagi sur Twitter, en déplorant l’absence d’une législation qui aurait clarifié les rapports entre les banques et leurs clients. «J’ai fait tout mon possible ces six derniers mois pour qu’une loi sur le contrôle des capitaux soit adoptée afin de protéger les banques et les petits déposants, mais personne n’a voulu écouter», a-t-il déploré.