Pour ne pas devoir constater l’insolvabilité du secteur bancaire noir sur blanc, la Banque du Liban a pris la décision d’une suspension réglementaire de la norme comptable IFRS 9. Ce qui a poussé les auditeurs de Blom Bank, la première banque à publier ses résultats 2019, à émettre de sérieuses réserves.

BDL-REUTERS-Ali-Hashisho-2020
BDL-REUTERS-Ali-Hashisho-2020

Pour ce qui touche à la prise de provisions sur les créances, donc les prêts, les placements interbancaires et les instruments financiers (tels que les obligations) enregistrés dans le portefeuille bancaire, la norme comptable IFRS 9 a été publiée en 2014. Entrée en vigueur au Liban début 2018, elle augmente la norme IAS 39 basée sur les pertes encourues repoussant la reconnaissance des pertes de crédit jusqu’à la survenance d’un événement, d’une méthodologie prévisionnelle qui se base sur le risque de l’exposition découlant de son comportement ou de sa notation.

La norme IFRS 9 classe les créances selon trois phases :

- 1re phase : dès l’investissement, l’entité comptabilise les pertes attendues sur 12 mois et le produit financier (intérêt) est calculé sur la base du montant brut de l’instrument.

- 2e phase : dans un deuxième temps, si le risque de crédit augmente sensiblement et que le risque de crédit n’est pas considéré comme faible, les pertes prévues sur la durée du prêt (et non plus sur 12 mois) doivent être reconnues et le produit financier (intérêt) est calculé sur la base du montant brut de l’instrument.

- 3e phase : dans un troisième temps, si la qualité du crédit se détériore au point que la recouvrabilité du principal est menacée, le produit financier (intérêt) est calculé sur la base du montant de l’instrument net de la dépréciation et la perte attendue sur la durée du prêt continue d’être provisionnée.

Lire aussi : Faut-il vendre des produits structurés à des investisseurs de détail?

Pour faire simple, les pertes attendues à provisionner sont fonction de leur probabilité de défaut, du recouvrement attendu en cas de défaut ainsi que de la maturité pour les phases 2 et 3. Sauf événement de défaut spécifique sur la créance, la probabilité de défaut est elle-même fonction de l’historique des créances comparables ou de leur notation, souvent interne à l’établissement financier, sinon externe lorsqu’elle existe, et le recouvrement attendu en cas de défaut est fonction de l’environnement légal et de l’existence ou non de sûreté et de leur qualité.

Maquiller les résultats bancaires

Le calcul des pertes attendues est évidemment essentiel pour la publication des résultats et il se base donc sur des normes et des modèles qui doivent être validés à plusieurs niveaux dont, in fine, par les commissaires aux comptes qui répondent de leur approbation des comptes. Pour les expositions des banques libanaises sur la Banque du Liban et les eurobonds de l’État libanais, c’est bien sûr là que le bât blesse. La Banque du Liban a publié en février 2020 une circulaire autorisant les banques libanaises à employer un taux de pertes attendues maximales de 1,89 % pour les dépôts en dollars auprès de la Banque du Liban et considérés en phase 2, et un taux cinq fois plus élevé (9,45 %) pour les eurobonds de l’État libanais considérés en phase 3.

Lire aussi : Livre et dollar : anatomie d’un divorce

De toute évidence, ce sont des taux purement comptables destinés à faire gagner du temps aux banques, en supposant qu’il existe des investisseurs myopes prêts à donner crédit à une telle comptabilisation, puisque les eurobonds de maturité éloignée traitaient déjà à l’époque à moins de 50 et qu’ils traitent tous aujourd’hui à près de 20, impliquant ainsi un taux de pertes attendues de près de 80%.

On ne voit pas bien en effet quel investisseur pourrait en conclure que la réalité est décidément meilleure qu’elle ne l’aurait été sans cet assouplissement : quand les investisseurs ne sont pas en mesure de reconstituer la réalité économique d’une présentation comptable, ils liquident leurs expositions s’ils le peuvent, et le coût du capital de la société en question explose.

De même pour les auditeurs : de manière tout à fait prévisible, les commissaires aux comptes de la première banque à avoir publié ses résultats 2019, la Blom Bank qui a annoncé des bénéfices de 173,98 milliards de livres, ne s’en sont pas laissé conter.

Ils ont émis les plus grandes réserves dans le préambule de la présentation de ses comptes 2019 : « Le bilan financier consolidé ne représente pas de manière correcte le bilan du groupe au 31 décembre 2019, ainsi que sa performance financière et son cash-flow. »

Il est malgré tout intéressant de constater que cette volonté de “gagner du temps” n’est pas incohérente avec ce que semble exprimer le marché des actions des banques libanaises, puisque celles-ci ne se traitent pas tout à fait à zéro, ce qui tendrait à indiquer, sinon la possibilité d’une certaine valeur liquidative, du moins des chances de rétablissement, sans doute grâce à la quasi-certitude d’un assouplissement du traitement légal de l’insolvabilité, à travers notamment la conversion de facto en livres libanaises des dépôts en dollars.

Blom Bank annonce des profits pour l’année 2019

Les bénéfices de Blom Bank se sont élevés à 174 milliards de livres en 2019 (soit 115,4 millions de dollars au taux officiel de 1 507,5 livres), constituant d’une baisse de 77,4 % par rapport à ceux générés l’année passée. Ses actifs ont comptabilisé 50 193,1 milliards de livres (33,3 milliards de dollars), soit une baisse de 9,4 % en glissement annuel. Le total de ses engagements envers des tiers a, lui, diminué de 9,9 %, pour s’établir à 45 435 milliards de livres (30,1 milliards de dollars). Le capital social est, quant à lui, resté stable, à 322,5 milliards de livres, soit 213,9 millions de dollars.