"Le Liban a besoin de 1,6 million de compteurs, dont moins de 1 % ont déjà été installés", estime Wissam Youssef.

Quand on lui demande s’il a déjà eu envie de quitter le Liban, Wissam Youssef oppose un non catégorique. « Je n’ai jamais voulu partir. Mon objectif est d’offrir à d’autres la possibilité de rester, en créant de l’emploi », affirme le cofondateur et CEO de CME Offshore, l’une des plus grandes entreprises libanaises de sous-traitance spécialisée dans la technologie.

La société, qui propose des solutions d’ingénierie intégrées, du développement de logiciels à la production de matériels, et compte parmi ses clients des multinationales, comme Paypal ou Subway, emploie 300 ingénieurs dans cinq pays, dont 180 au Liban. « C’est ma plus grande fierté », confie cet ancien de l'École supérieure d'ingénieurs de Beyrouth (ESIB).

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L’entreprise est née en 2003 d’une collaboration avec Carole Charabati, professeure à l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, qui lui a proposé, alors qu’il était encore étudiant, une mission ponctuelle de développeur, dans le cadre d’un projet commandé par la Banque mondiale. Une première expérience qui les encourage à se lancer dans la sous-traitance.Rapidement, alors que les missions se multiplient, venant pour la majorité des États-Unis, de nouveaux ingénieurs viennent grossir les rangs de l’entreprise.

Quinze ans plus tard, CME Offshore est devenue l’un des premiers exportateurs de services vers les États-Unis, avec un chiffre d’affaires de plus de 10 millions de dollars par an.

Aujourd’hui, alors que le pays traverse une crise sans précédent, Wissam Youssef veut ouvrir un nouveau front. L’entreprise a développé un prototype de compteurs intelligents de consommation électrique. Ces compteurs connectés, dont l’installation est prévue dans le plan du gouvernement, transmettent automatiquement les données de consommation au gestionnaire de réseau. Ils constituent ainsi une solution efficace pour réduire les vols de courant, qui coûtent à EDL environ 400 millions de dollars par an.

« Le Liban a besoin de 1,6 million de compteurs, dont moins de 1 % ont déjà été installés. Pourquoi ne pas les fabriquer localement ? Cela permettrait de créer de l’emploi et d’éviter une sortie supplémentaire de devises. Avec la dévaluation de la livre, le pays a le potentiel de devenir un centre de production compétitif », affirme-t-il.

Le prototype devrait être finalisé fin août et la commercialisation pourrait débuter d’ici à un an, à l’issue de la phase de certification. Selon lui, avec un prix de vente 15 % inférieur à la concurrence étrangère, la technologie libanaise suscite déjà l’intérêt des entreprises privées qui gèrent la distribution d’électricité pour le compte d’EDL.

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Mais pour avoir vécu ces dernières années « tout le drame libanais, de la guerre de 2006 à la crise financière actuelle », l’ingénieur ne se fait pas trop d’illusions. « Entre les difficultés du secteur bancaire et l’enlisement politique, il n’y a pas de signaux positifs », reconnaît-il, en soulignant que son projet est « une alternative technique locale, pas une solution politique au problème de l’électricité ».

Il ne se laisse pas pour autant démonter. « Si les obstacles sont trop nombreux pour la vente sur le marché local, on exportera à l’international », dit-il, avant de conclure : « J’aurais montré en tout cas que l’innovation est possible, malgré les défis. »