Le terminal de conteneurs ayant été épargné par la double explosion qui a endommagé une partie des infrastructures portuaires, les professionnels du secteur espèrent reprendre leurs activités, a minima, d’ici à la semaine prochaine.

REUTERS/Alkis Konstantinidis

C’est peu dire que le port de Beyrouth est vital pour le Liban. À lui seul, il a accueilli 73 % des marchandises importées en 2019 en valeur, soit 14 milliards de dollars sur un total de 19 milliards (au taux de 1 500 livres le dollar), et collecté pour le compte de l’État l’essentiel des taxes douanières, dont le montant total s’élevait à 1,2 milliard de dollars en 2019. Sans parler des 199 millions de dollars de recettes portuaires générées.

Ce centre névralgique réunit une multitude d’acteurs et fait travailler plus de 5 000 personnes, selon Amer el-Kaissi, président du syndicat des intermédiaires de fret et PDG de la société GTS.

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Des employés répartis entre l’entité qui gère le port de Beyrouth (GEPB – Gestion et exploitation du port de Beyrouth), l’entreprise qui gère le terminal de conteneurs (BCTC – Beirut Container Terminal Consortium), l’armée, la Sûreté générale, les douanes, la station de pilotage, les agents maritimes, les transitaires, les entreprises de transport et de logistique (dont les intermédiaires de fret), les manutentionnaires, les avitailleurs et les compagnies de collecte des déchets, sans compter plus d’un millier de camionneurs.

Combien d’entre eux étaient sur les lieux du drame, le 4 août un peu après 18 heures, lorsqu’une terrible explosion a ravagé une grande partie du port? Combien y ont perdu leur vie? Combien y ont été blessés? Il est encore trop tôt pour le dire, alors que les recherches sous les décombres se poursuivent.

Les plus chanceux toutefois avaient déjà quitté leur lieu de travail. «Heureusement, si j’ose dire, l’explosion a eu lieu après la fermeture des bureaux, sinon j’aurais pu perdre 50 employés», soupire Mourad Aoun, PDG de la société de logistique Net Holding, dont les deux hangars et les bureaux situés dans la zone logistique du port sont partis en fumée. «Les dégâts matériels sont importants, mais ce n’est pas l’essentiel. L’important est que nos employés soient sains et saufs et qu’ils puissent recommencer à travailler», dit-il.

L’explosion, qui a eu lieu dans le bassin n° 3, a en effet endommagé tous les locaux situés dans la zone, dont le bâtiment des douanes, ainsi que les hangars de la zone franche du port, où étaient entreposées des marchandises. Les quais de ce bassin ainsi qu’une partie de ceux du bassin n° 2 et du n° 4 sont désormais hors d’usage (voir carte). Ces quais permettant d’importer de la marchandise en vrac, comme le blé, les graines, le bétail, les voitures, les métaux… La station de pilotage du port, située sur le quai n° 6, a quant à elle été fortement endommagée et perdu neuf de ses 10 bateaux pilotes et trois de ses cinq remorqueurs.

Le terminal de conteneurs opérationnel

Mais d’autres parties du port semblent avoir été relativement épargnées, notamment le terminal de conteneurs qui concentre l’essentiel de l’activité portuaire. «La plupart des grues installées au nord du bassin n° 4, à l’extrémité du port, n’ont pas été endommagées. Les quais 15 et 16, qui assurent à eux seuls environ 60 % de l’activité, sont encore opérationnels», explique le directeur général de la station de pilotage du port, Mohammad Ali Baltaji. Les porte-conteneurs Vessel Electra et Nicolas Delmas, ce dernier appartenant à la compagnie CMA CGM, ont ainsi pu entrer au port de Beyrouth dans la soirée du 10 août.

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Dans les bassins n° 1 et 2, exploités par l’armée libanaise et la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), les quais ont également été remis en service. Quant aux quais 12 à 14 du bassin n° 4, «ils devraient être réhabilités d’ici à un mois, ce qui permettrait au port de retrouver 80% de son niveau d’activité d’avant le 4 août», selon Mohammad Ali Baltaji. «Les réservoirs de carburant et de gaz le long de la côte à Dora n’ont pas non plus été endommagés, ce qui devrait permettre d’y acheminer les navires», ajoute-t-il.

La plupart des entreprises du secteur s’apprêtent donc à relancer leurs activités dans les jours à venir, a minima, sachant que le port de Beyrouth tournait déjà au ralenti avant la catastrophe en raison de la crise économique, qui s’est traduite par une baisse des importations, en rythme annuel, de plus de 50 % sur les cinq premiers mois de l’année. «Nous étions prêts à rediriger la totalité de notre activité vers le port de Tripoli, mais nous avons depuis suspendu cette décision et sommes désormais capables d'opérer, en partie, depuis le port de la capitale», confirme Viviane Mnayerji, directrice commerciale à Henry Heald & Co - agence maritime, transitaires et chargée de manutention.

Pour accélérer la reprise, Amer el-Kaissi dit avoir demandé aux douanes «de faire passer toutes les marchandises en ligne verte (NDLRl, ligne sur laquelle les marchandises ne sont pas soumises aux contrôles douaniers), sachant que les installations d’inspection sur la ligne rouge ont été détruites». Il estime que «1.500 à 2.000 travailleurs pourraient ainsi retrouver leur travail au port de Beyrouth d’ici à la semaine prochaine».

L’alternative du port de Tripoli

Un soulagement pour les employés, dont certains n’avaient pas vraiment d’alternatives. Si de grandes entreprises possédant déjà les licences nécessaires et des bureaux au Nord se disaient prêtes à relocaliser au port de Tripoli, à l’instar du groupe CMA CGM, actionnaire dans la société Gulftainer (qui y gère le terminal de conteneurs), d’autres se seraient retrouvées sur le carreau.

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Outre la capacité du port de Tripoli à absorber tout le flux de marchandises destinées à Beyrouth – sachant qu’en 2019 sa part dans les importations totales du pays n’a pas dépassé 5% –, un tel scénario aurait posé le risque de tensions sociales et communautaires. Car même l’activité portuaire, hélas, est soumise à des critères confessionnels.

«En tant que sunnite, j’aurai peut-être pu trouver ma place à Tripoli, mais cela n’aurait certainement pas été le cas pour tout le monde», témoigne un transitaire au port de Beyrouth, sous couvert d’anonymat. «La répartition démographique et politique y est différente et, par conséquent, les arrangements professionnels aussi», ajoute-t-il. Ce qui fait dire au président du Syndicat des propriétaires de camions au port de Beyrouth, Naïm Sawaya, que sur les 1 000 camionneurs actifs au port de la capitale, «150 à 200 seulement auraient pu travailler à Tripoli».