Après deux mois de confinement, la reprise de l’activité commerciale pourrait accroitre la demande de billets vers sur le marché noir. Mais pour l’heure, la demande semble surtout venir des banques.
La livre libanaise a perdu près de 10% de sa valeur ces deux dernières semaines et atteint désormais le taux de 10 000 livres le dollar sur le marché noir. Faut-il voir dans cet accès de faiblesse la conséquence de la levée progressive des restrictions imposées pour lutter contre le Covid-19 et un avant-goût de ce qui attend les Libanais avec la reprise de l’activité après deux mois d’arrêt ? «Le confinement a déprimé la demande. La levée des restrictions devrait normalement se traduire par une hausse de la consommation et des importations, et donc par une détérioration de la balance de paiement, et de la position de livre par rapport au dollar», explique Simon Neaime, professeur d’économie financière et monétaire à l’Université américaine de Beyrouth.
Mais «on ne peut pas imputer la dépréciation de la livre uniquement aux variations de la consommation. Il y a des facteurs plus larges, comme la situation du secteur financier et les politiques adoptées», ajoute-t-il.
Un avis partagé par le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas, qui assure que la demande actuelle de dollars sur le marché noir n’est pas tirée par les importateurs. «La hausse que nous connaissons depuis environ deux semaines s’explique par un manque de confiance généralisé face à la paralysie politique et la situation économique, mais aussi par l’opération de restructuration bancaire pilotée par la BDL. En effet, pour augmenter leurs niveaux de liquidités en devises, les banques s’approvisionnent en billets verts sur le marché noir», explique-t-il.
La reprise de l’activité commerciale pourrait toutefois aggraver la tendance dans les mois à venir. «Je compare la situation actuelle à un ressort qu’on a longtemps comprimé et qui s’apprête à exploser», poursuit-il. «Certains consommateurs vont probablement se remettre à acheter autre chose que des produits de première nécessité, ce qui va entrainer une pression sur le taux de change» prédit Nicolas Chammas, qui veut croire au déclenchement d’un cercle vertueux. «En redynamisant le secteur commercial, la hausse de la demande pourrait encourager l’investissement et développer l’activité de tous les secteurs, y compris les secteurs productifs. Sur le moyen-terme, cela pourrait se traduire par une hausse des exportations et des flux de dollars frais qui permettrait d’améliorer la situation du taux de change».
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Un optimisme qu’il est bien le seul à afficher.
Dans la grande distribution, en revanche, on ne s’attend pas à des miracles. «Au début du confinement, le volume des ventes tombé est à 5% de son volume habituel. Lorsque les gens ont fini par épuiser leurs provisions, les services de livraisons ont pris le relais ce qui nous a permis de retrouver 20% de notre activité», témoigne le président du syndicat des supermarchés, Nabil Fahed. Mais avec la détérioration du pouvoir d’achat «il est peu probable qu’on assiste à une nette reprise» ajoute-t-il. «La demande va probablement se stabiliser à un niveau très bas, d’autant que les prix devraient encore augmenter pour refléter la baisse de la livre face au dollars».
Selon lui, la crise économique a déjà profondément modifié le comportements des consommateurs.
«La plupart des clients optent désormais pour des produits subventionnés par les différents mécanismes de la BDL. Ainsi, les dollars nécessaires à la production ou à l’importation du bien ne sont pas trouvés au marché noir, mais plutôt à travers les canaux officiels. Il ne devrait donc pas y avoir de pression sur le taux de change», explique-t-il.
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Même constat du côté des importateurs de carburant. «La demande pour l’essence a chuté de 15% durant le confinement selon nos estimations, fait-on savoir à l’Association of Petroleum Importing Companies. C’est moins que la baisse de 25% constatée lors du premier confinement en 2020, parce que les taxis ont continué à opérer et que le confinement a été moins respecté, mais aussi parce que la consommation était déjà au plus bas à cause de de la crise économique. Nous nous attendons donc pas à une hausse importante de la consommation après la réouverture du pays».
Un autre facteur risque toutefois d’impacter indirectement le taux de change. «À l’international, les prix des hydrocarbures montent en flèche. La demande étant généralement inélastique, les quantités importées ne baisseront sans doute pas de manière proportionnelle. La Banque du Liban (BDL) risque donc de devoir puiser un peu plus dans ses réserves en devise, ce qui réduit sa capacité à subventionner les produits de première nécessité et érode un peu plus la confiance dans la livre» prévient Simon Neaime.