Le secteur plaide pour le maintien des tarifs des transports, en échange d’une aide financière de l’État pour la maintenance des véhicules ainsi qu’un plafonnement des prix du carburant. Le mécanisme de supervision de l’utilisation de ces aides reste cependant à définir.

Face à l’inflation, les chauffeurs ont obtenu depuis juillet dernier un doublement des tarifs, mais la levée annoncée des subventions sur le carburant devrait changer fondamentalement la donne.
Face à l’inflation, les chauffeurs ont obtenu depuis juillet dernier un doublement des tarifs, mais la levée annoncée des subventions sur le carburant devrait changer fondamentalement la donne.

«Depuis octobre 2019, j’ai perdu la majorité de ma clientèle à cause des licenciements et du télétravail», témoigne Joseph, un chauffeur de service du Chouf. «La plupart du temps, je conduis à perte; par exemple je ne trouve plus qu’un ou deux passagers par jour, payant 10.000 livres chacun, pour faire les 50 kilomètres reliant Deir el-Kamar à Beyrouth». Comme lui, des milliers de chauffeurs subissent la crise économique et sanitaire qui a réduit la mobilité et donc les revenus du secteur, alors que les prix de l’essence ne cessent d’augmenter, affichant une hausse de 56% depuis le début de l’année.

Sans parler de la dévaluation de la livre, qui fait exploser les coûts de maintenance alignés au taux du marché noir, plus de huit fois supérieur au cours officiel. «Les pièces de rechange sont devenues tellement chères qu’au moindre problème, le propriétaire du véhicule risque de devoir cesser son activité. Un simple pneu peut lui coûter plus d’un million de livres», abonde le président du Syndicat des chauffeurs de bus du Nord, Chadi el-Sayyed, qui compte environ 350 bus et 400 mini-vans dans la région. «Comme le reste de la population, les chauffeurs subissent la flambée des prix et n’arrivent plus à joindre les deux bouts. C’est encore pire dans notre région, où la contrebande de carburants contraint les chauffeurs à s’approvisionner sur le marché noir, à un prix supérieur au prix officiel, sans aucun contrôle de l’État », commente Chadi el-Sayyed. Selon lui, 65% des membres du Syndicat ont reçu des aides de l’État pour faire face à la pandémie, soit deux versements de 400.000 livres. «Mais que cela représente-t-il au taux de change réel?» s’interroge-t-il.

Officiellement, le Liban comptait en 2019 environ 2.200 bus privés en circulation, 4.000 vans (ou minibus), et 33.000 services, des taxis collectifs, détenteurs d’une plaque rouge qui les autorise à transporter des personnes, auxquels s’ajoutent quelque 10.000 vans et environ 20.000 services non enregistrés, selon les estimations de la Banque mondiale datant de 2018. Un réseau qui constitue la seule offre de transports collectifs au Liban. Les quelque 35 bus vétustes de l’Office public des chemins de fer et du transport, dont une partie était postés à la gare routière Charles Hélou dans le quartier de Mar Mikhael, sont désormais à l'arrêt en raison des dommages causés par l'explosion du 4 août au Port de Beyrouth et du coût élevé des réparations.

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Face à l’inflation, les chauffeurs ont obtenu depuis juillet dernier un doublement des tarifs, mais la levée annoncée des subventions sur le carburant devrait changer fondamentalement la donne. Selon les estimations du gouvernement, les prix de l’essence et du mazout devraient tripler, voire quadrupler, passant de 40.900 livres libanaises les 20 litres à 141.000 livres pour le premier et de 28.600 à 127.500 livres pour le second. «Comment peut-on envisager d’augmenter encore les tarifs de transport alors que la population est à bout?» demande Chadi el-Sayyed, qui plaide pour des aides ciblées au secteur plutôt qu’une hausse des prix.

Des revendications portées par l’Union des syndicats des transports terrestres, présidée par Bassam Tleiss, qui a soumis son plan au ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Michel Najjar, et la vice-Premier ministre Zeina Akar en mars dernier. L’organisation propose notamment d’octroyer pour chaque véhicule une aide mensuelle en liquide de 500.000 livres libanaises, soit environ 42 dollars au taux de la monnaie locale sur le marché noir, pour une durée à déterminer. Le document recommande également un plafonnement des prix d’un nombre défini de bidons de 20 litres par chauffeur et par mois, à 25.000 livres pour l’essence et 20.000 livres pour le diesel. Cette seconde mesure s’appliquerait pendant trois ans, en échange d’une stabilité des prix pour les usagers. Ces aides doivent être entérinées par des lois adoptées au Parlement, précise le syndicat.

Le mécanisme de contrôle de l’utilisation de cette aide reste cependant encore à déterminer. L’Union des syndicats ne propose aucun dispositif de contrôle pour les aides financières directes. Pour le second type de subvenions, le plafonnement des tarifs du carburant, le plan estime que des procédures destinées à «prévenir la fraude, la corruption et la manipulation entre chauffeurs et propriétaires des stations-service» doivent être mises en place, sans entrer dans les détails.

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«Cela pose un problème car beaucoup de propriétaires de véhicules détenteurs d’une plaque rouge sont en réalité inactifs. D’autre part, qu’est ce qui empêche le chauffeur de revendre le carburant et de faire autre chose?», estime Rami Semaan, le directeur général de TMS Consult, spécialiste de mobilité urbaine. Pour l’expert, une aide est indispensable mais elle doit être indexée au service rendu. «Ces subventions sont légitimes à conditions qu’elles aient un impact mesurable sur l’offre de service. Il faut un système de comptage, par exemple au nombre de passagers transportés ou de kilomètres parcourus».

Le président de l’Union des syndicats des transports terrestres, Bassam Tleiss, affirme de son côté que ces informations seront communiquées ultérieurement et espère voir les négociations avec les autorités libanaises aboutir d’ici fin mai. « Nous sommes prêts à ce qu’une loi impose des mesures punitives à l’instar d’amendes voir de peines d’emprisonnement pour les fraudeurs», précise-t-il. Contactés, le ministre sortant des Travaux publics et des transports ainsi que le président de la commission parlementaire des Travaux publics, des Transports, de l'Énergie et de l'Eau, Nazih Najem, n’ont pas donné suite à nos demandes d’informations.

*L'article a été modifié le 24 mai