À partir de 2003, douze usines de traitement des déchets ont été construites dans différents villages libanais, pour tenter de régler le problème en zones rurales. À l’exception de Douma (Batroun) et de Akkar al-Attika (Akkar), les autres se situent toutes dans le Sud, autour de Bint Jbeil et de Marjeyoun. La plupart de ces projets ont été diligentés par des associations telles la Young Men’s Christian Association, la Mission pontificale ou la Creative Associates International Inc. Elles ont toutes reçu une aide financière de l’USAid. Une seule a fait l’objet d’un financement privé, Cedar Environment Co. (voir article consacré à cette entreprise) dans le caza de Jbeil.
Pourtant, la plupart de ces installations ont mis la clé sous la porte. Les raisons sont multiples : capacités initiales inappropriées, production de compost nocif, absence de rentrées budgétaires prévues, en particulier, le “bonus” prévu par le décret numéro 1917 de 1979 qui affirmait que « toute municipalité qui crée une décharge sur son territoire profite d’un bonus qui vaut sa part de la Caisse autonome des municipalités multipliée par cinq et d’un bonus qui vaut sa part de la CAM multipliée par 10 si elle crée une décharge pour 10 municipalités au moins sur son territoire ». Ce bonus n’a jamais été versé.
« En fait, lors de mes premières inspections en 2007, deux sites seulement étaient encore opérationnels : Khirbit Silm et Taybeh. Une autre usine, à Bint Jbeil, était partiellement en service. Mais seule l’usine de Khirbit Silm répond aux standards de propreté et de gestion, même si elle ne possède pas de décharge contrôlée dédiée et continue de jeter ses résidus finaux derrière le site où ils sont brûlés sept jours sur sept », relève Federico De Nardo, chargé de suivre la rénovation de certains de ces sites pour le compte de la coopération italienne.
Après la guerre de 2006, la coopération italienne, par le biais de l’ONG COSV, a en effet repris en main quatre centres de traitement à Khirbit Silm, Kfar Sir, Aytaroun et Bint Jbeil. L’investissement global a représenté 1,5 million d’euros sur trois ans. L’idée était de fournir des “projets pilotes”, de gestion intégrée depuis les opérations de triage (voire de tri à la source, comme dans le cas de Bint Jbeil) jusqu’à la réalisation de compost, puis la mise en décharge contrôlée qui puisse ensuite servir d’exemple pour un déploiement sur l’ensemble du territoire. Khirbit Silm, Kfar Sir ont ainsi réussi à optimiser leur production. « Khirbit Silm recycle maintenant jusqu’à 70 % des déchets. C’est un exploit à saluer », reprend Federico De Nardo. Mais d’autres sites font face à des difficultés. L’usine de Bint Jbeil est en cela un bon exemple. Lors de son installation, une partie du matériel, des “tambours” destinés normalement au traitement des eaux et des boues usées se sont révélés inappropriés à ses besoins. « Cette technologie ne convient pas à la production de compost ou au retraitement de déchets solides. De plus, ces fûts ne peuvent traiter qu’une demi-tonne de résidus chacun. Comment, dans ce cas, traiter 10 tonnes par jour, quand de surcroît ces déchets doivent demeurer au moins 10 jours dans ces fûts pour en extraire ensuite une matière propre et recyclable ? » s’interroge Federico de Nardo. Aujourd’hui, ces tambours rouillent au soleil, dans l’arrière-cour, en attendant qu’un éventuel repreneur ne les rachète pour en recycler l’acier. La remise en état de l’usine de Bint Jbeil, a nécessité quelque 400 000 euros. Elle devait regrouper les déchets de trois municipalités (Yaroun, Bint Jbeil et Aïnabel). Mais des tensions “politiques” retardent toujours leur regroupement.

Conflit d’intérêt

Depuis sa réhabilitation, l’usine est en mesure d’assurer le traitement de 25 tonnes de déchets par jour. Une capacité qui pourrait d’ailleurs lui permettre d’assurer le retraitement pour d’autres villes de la région. Or, à l’heure actuelle, elle réceptionne moins de cinq tonnes par jour. « Cette sous-capacité est en partie due à des problèmes avec l’entreprise privée, en charge de la gestion du site, qui ne respecte pas une partie du cahier des charges. » Waste Management and Services, la société en charge du site, est pourtant rétribuée à hauteur de 15 000 dollars par mois en moyenne.
Sa rétribution est, en fait, calculée à partir des volumes de déchets finaux envoyés à la décharge de Nabatiyé. « Un moyen efficace pour inciter les villes à recycler au maximum : plus elles retraitent, moins elles paient », explique Federico De Nardo. Mais, dans le cas de Bint Jbeil, le PDG de Waste Management and Services est aussi le gestionnaire de la décharge où sont transportés les résidus de Bint Jbeil. « L’entreprise a intérêt à peu recycler pour envoyer plus de volumes à la décharge et gagner plus d’argent. L’absence de législation crée un vide juridique dont profite l’entreprise pour imposer ses règles »
Pour Federico de Nardo, les municipalités se trouvent à la merci du secteur privé du fait de l’absence de loi ou a minima de restrictions législatives qui interdisent pareilles dérives. « Le secteur privé profite de l’absence d’État : face à ces entreprises, les municipalités sont démunies. Au Liban, pour espérer mettre en place une filière de retraitement efficace, il faudrait d’abord une législation cohérente, puis une plus grande implication du gouvernement central et, enfin, une implication encadrée du secteur privé. »
 

Arab Salim trie à la source ses déchets

À Arab Salim, village de 10 000 habitants dans le Sud, les femmes de l’association Nidaa ar-Ard ont commencé dès 1995 le tri à la source, à une époque où personne n’était en mesure de collecter leurs détritus. « Les déchets s’amoncelaient partout. On brûlait. Mais l’odeur des plastiques brûlés était insupportable. Et l’on constatait une recrudescence des maladies comme les allergies, l’asthme. Alors on a essayé de faire quelque chose », raconte la présidente de l’association Zeinab Mokalled, une institutrice à la retraite. Campagne de sensibilisation auprès des élus régionaux, porte-à-porte pour persuader chaque habitant de l’importance de ce combat… Les femmes de Nidaa ar-Ard démarrent le recyclage dans leur propre jardin et assurent la collecte dans leur propre voiture. « Il n’existait pas de conscience du risque environnemental lié aux déchets quand nous avons démarré en 1995. Mais aujourd’hui, 80 % de la population du village y est sensible et écoresponsable », précise Zeinab Mokalled. Grâce à des dons, des conteneurs spécialisés par type de produits ont été installés dans chaque maison, la collecte s’effectuant une fois par semaine selon les quartiers. Et au fur et à mesure, leur démarche se professionnalise. « Au démarrage, nous ignorions les prix du marché, les différences entres types de plastique… » Chaque mois, en moyenne, le village recycle 500 kg de plastique, une tonne de métal ainsi qu’une tonne de verre. Le plastique est vendu à une entreprise de Tyr, le verre à Beyrouth. Ces ventes ne leur permettent pas de faire de bénéfices, mais elles couvrent en partie les frais de ramassage, le salaire des deux ouvriers et les coûts de transports.