Un article du Dossier

Le Liban dilapide son eau

L’irrigation agricole est la plus grande source de consommation d’eau au Liban et représente 64 % de la demande annuelle totale. Souvent marquée par des pratiques encore traditionnelles, l’irrigation fait face à d’immenses défis, notamment pour limiter les fuites et les pertes qui sont actuellement de l’ordre de 50 %. Ce secteur particulièrement sensible ne bénéficie pourtant que de 9 % des fonds alloués au secteur de l’eau par les autorités publiques.

Avec 200 millions de dollars investis depuis 1992, le secteur de l’irrigation apparaît comme le maillon faible de la gestion de l’eau au Liban : en l’absence de politique agricole nationale, le gouvernement a délaissé l’irrigation, qui constitue néanmoins la principale source de consommation d’eau du pays. L’importante demande en eau du secteur agricole, qui s’élève à près d’un milliard de mètres cubes par an contre 150 millions pour l’industrie et environ 400 millions pour l’usage domestique, s’explique davantage par la vétusté des réseaux d’adduction et le caractère traditionnel des techniques utilisées par les agriculteurs que par la superficie des terres irriguées. Sur les 330 000 hectares de terres cultivées au Liban, à peine un tiers sont irriguées, alors que le potentiel total d’irrigation du pays pourrait s’élever jusqu’à 248 000 hectares (sources : FAO/Aquastat).
Bien qu’elle ne soit pas très étendue, l’irrigation est une source très importante de gaspillage : le fait de ne pas avoir réhabilité les réseaux endommagés au cours des différents conflits qu’a connus le pays et la pratique d’une irrigation peu économe en eau provoquent des pertes d’environ 50 %.

Un manque de moyens et de coordination

Au-delà des faibles investissements dans le secteur de l’irrigation, qui ne représentent que 9 % des fonds alloués à la gestion de l’eau, l’irrigation souffre d’une dispersion des centres de décision. Diverses institutions interviennent dans la définition des priorités et l’exécution des projets, conduisant à une grande fragmentation des responsabilités qui rend difficile la mise au point d’une stratégie globale. Le ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques est responsable de la réglementation de la protection et de l’exploitation des ressources ainsi que de la gestion des grands projets et des études techniques de faisabilité. Les Établissements des eaux et l’Office national du Litani, placés sous la tutelle du ministère, sont, quant à eux, chargés de la production et de la distribution de l’eau d’irrigation, le contrôle de la qualité de l’eau, et la maintenance et la réhabilitation des infrastructures. Le ministère de l’Agriculture a un rôle de conseil auprès des agriculteurs concernant les techniques d’irrigation à utiliser, les types de cultures à privilégier et l’optimisation du choix des fertilisants et des pesticides, ainsi que leur utilisation en termes quantitatifs et qualitatifs. Il est par ailleurs chargé de définir les normes et spécifications des eaux d’irrigation et, en coordination avec le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la qualité des eaux d’irrigation contre la pollution causée par le déversement des eaux usées domestiques et industrielles. Des objectifs qui n’ont, pour l’instant, pas été atteints.

Des agriculteurs peu formés à une gestion raisonnable de l’eau

L’irrigation gravitaire (l’écoulement de l’eau suit la pente naturelle du sol) reste ainsi prédominante et représente 64 % de la surface agricole utile (SAU) du pays, tandis que les techniques modernes comme l’aspersion ou le goutte-à-goutte, moins consommatrices en eau, représentent respectivement 28 % et 8 %. Le manque de moyens pour mettre en place ces techniques mais aussi et surtout le manque de formation et de sensibilisation des agriculteurs à l’égard de la préservation de la ressource sont en cause. Selon Fadi Comair, directeur général des ressources hydrauliques et électriques du ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, les agriculteurs utilisent fréquemment trop d’eau, avec une sur-irrigation qui atteint parfois les 300 %. De plus, en raison de l’absence de compteurs, l’eau est généralement facturée à un prix fixé selon la superficie irriguée et non pas selon le volume utilisé, ce qui n’incite pas à l’économiene favorise ainsi pas la mise en œuvre de pratiques économes en eau. La surexploitation de la ressource accentue le problème des pénuries d’eau auxquelles sont régulièrement confrontés les agriculteurs, notamment en saison sèche.

Des conséquences alarmantes sur l’environnement

Avec des besoins moyens estimés à 10 000 mètres cubes par an et par hectare, la demande globale actuelle en eau pour l’irrigation atteint les 900 millions de mètres cubes par an, dont 52 % proviennent des eaux souterraines et 48 % des eaux de surface. En raison du retard dans l’exécution des barrages prévus par le ministère, qui sont censés réguler les pénuries, les agriculteurs ont fréquemment recours à des puits privés qui contribuent à faire baisser le niveau des nappes phréatiques et constituent ainsi une forte menace pour la pérennité des ressources en eau du pays. Aucune autorité n’est aujourd’hui capable de mesurer le volume d’eau capté chaque année de façon illégale. Les autorités semblent résignées, comme le supposent les propos de Youssef Karam, chef du département irrigation, eaux, eaux usées et infrastructures du Conseil du développement et de la reconstruction : « Quand les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de fournir un service de base, comment voulez-vous reprocher aux citoyens de se débrouiller par eux-mêmes ? » Le recours grandissant aux eaux souterraines provoque pourtant une dégradation de la qualité de l’eau. Les nappes, notamment celles qui sont situées à proximité des côtes du pays, se retrouvent parfois en dessous du niveau de la mer provoquant une intrusion de l’eau de mer qui augmente la salinité de l’eau. Celle-ci devient alors impropre à la consommation et à l’irrigation. Par ailleurs, peu informés sur les dangers des pesticides, les agriculteurs ont tendance à utiliser allègrement ce type de produits qui polluent le sol, les cours d’eau et les nappes phréatiques.
La modernisation de l’irrigation est donc urgente. Selon les experts du Plan Bleu (Plan d’action pour la Méditerranée du Programme des Nations unies pour l’environnement), une amélioration du rendement  de 1 % conduirait à une économie d’environ 20 millions de mètres cubes par an. Afin de mettre en œuvre une gestion rationnelle de la ressource, de nombreux experts du ministère et de la FAO préconisent d’associer de manière formelle les agriculteurs aux programmes d’irrigation, sous la forme de coopératives ou d’associations d’irrigants. Les bénéficiaires, directement associés aux projets, seront ainsi davantage impliqués dans l’effort collectif de valorisation de l’eau.

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