Un article du Dossier

Le Liban dilapide son eau

Comme le marché parallèle des générateurs privés d’électricité, le business des camions-citernes est lui aussi très lucratif. Les camions-citernes approvisionnent en moyenne près d’un tiers des particuliers pendant les mois d’été, en général de juin à octobre, et les établissements (industries, hôtels, restaurants, établissements scolaires) pendant toute l’année. Les établissements achètent en moyenne 100 m3 d’eau par mois, selon une enquête socio-économique réalisée conjointement par le ministère de l’Énergie et l’ambassade de France (“Les Libanais et l’eau potable”, 2004). Les camions-citernes sont très actifs dans la Békaa, mais également de plus en plus dans la capitale. Les ménages utilisent l’eau des camions-citernes pour le lavage, quand le volume d’eau fourni par le réseau public est insuffisant, ou plus rarement, parce qu’ils ne sont pas raccordés au réseau public. Le marché des camions-citernes est détenu par des individus qui possèdent en général deux à trois pick-up, avec des capacités de 4 000, 6 000, 12 000 ou 16 000 litres. « Il existe environ une centaine de pick-up qui approvisionnent la capitale », explique Simon Fakhoury, un vendeur d’eau d’Achrafié qui possède lui-même trois camions-citernes. Les camions vont s’approvisionner dans une vingtaine de puits privés, pratiquement tous situés dans les banlieues de la capitale (Hazmié, Jdeidé, Mansourié…). L’un des plus gros puits qui fournit Beyrouth se situe à Tahouita, dans un terrain vague derrière l’Université de La Sagesse. La famille Nader y possède un puits depuis près de 50 ans, dont l’exploitation est divisée entre les sept membres de la famille. « Nous possédons un grand réservoir de 150 000 litres qui peut se vider en six heures quand la demande est forte. Au total, nous pouvons extraire environ 300 000 litres d’eau par jour », explique Élie Nader, le fils d’un des propriétaires du puits. Le tarif est de 1 000 livres pour 1 000 litres d’eau, et les vendeurs d’eau en profitent pour faire de juteuses plus-values. Ils revendent en moyenne entre 15 000 et 20 000 livres libanaises le mètre cube à Beyrouth, selon la hauteur des appartements. Un prix moyen très élevé pour Beyrouth, étant donné que le prix international de référence est de 2 dollars/m3 (source : “Les Libanais et l’eau potable”). Même en comptant l’essence, le moteur et les dépenses des employés, les bénéfices sont importants. « Quand je travaille de 6h à 22h pendant les jours d’été, je peux gagner jusqu’à 200 dollars net par camion », explique Simon Fakhoury, qui affirme avoir plus de 200 clients. La qualité de l’eau fournie par les citernes est rarement contrôlée. « Nous la contrôlons en laboratoire une fois tous les deux ans », explique Élie Nader, du puits de Tahouita. « Dans certains puits comme à Sabra, où le prix de l’eau est le moins cher, environ 500 livres par mètre cube, l’eau est souvent salée et de mauvaise qualité, car avec l’épuisement des nappes phréatiques, de l’eau de mer s’y est infiltrée. Dans ces cas, nous la faisons traiter », raconte Jean Khoury, un autre vendeur d’eau de la capitale.

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