Un article du Dossier

Le Liban dilapide son eau

Si 78 % des foyers libanais sont connectés aux réseaux publics d’eau potable, rares sont ceux qui bénéficient d’un service continu. Les pénuries incessantes et la qualité discutable de l’eau reçue conduisent la majorité des usagers à se tourner vers des prestataires privés, ce qui a bien évidemment un coût.
 

Avec des pénuries qui peuvent durer jusqu’à 21 heures par jour en été dans la région de Beyrouth, les Libanais expriment unanimement leur mécontentement à l’égard du système actuel de gestion de l’eau potable, d’autant que l’eau, qui arrive au compte-gouttes dans les robinets des foyers, est par ailleurs rarement réellement potable.
De fait, si officiellement on estime à 78 % le nombre de foyers libanais qui ont accès au réseau public d’eau potable, en réalité, dans la majorité des cas, cette eau n’est pas potable en raison de la vétusté des réseaux d’adduction, de l’infiltration des eaux usées non traitées qui sont rejetées dans le sol et du stockage de l’eau courante dans des réservoirs particuliers destinés à compenser la discontinuité du service.
L’incapacité de l’État à satisfaire les besoins en eau de la population a conduit au développement d’un vaste marché privé parallèle pour satisfaire à la fois ses besoins en eau courante et ses besoins en eau potable. Ce marché est évalué à environ 300 millions de dollars par an (source : Banque mondiale, 2008). Les foyers libanais ont ainsi recours aux prestataires privés, à hauteur de 75 % de leurs dépenses annuelles en eau. Les habitants de Beyrouth sont les clients les plus importants du marché privé avec une moyenne de 392 dollars dépensés chaque année par foyer, contre 135 dollars déboursés pour la consommation d’eau publique. Ces chiffres en valeur absolue ne sont pas forcément significatifs en raison des problèmes inhérents à la tarification de l’eau libanaise. En revanche, le ratio de la part de la fourniture privée est très élevé selon les critères internationaux.
Le fait, pour les ménages, de devoir se débrouiller pour s’approvisionner en eau n’a pas seulement un coût financier, mais pose aussi un problème majeur pour l’ensemble des ressources en eau du pays : selon les chiffres du ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, 42 000 puits privés, forés par les particuliers, seraient utilisés contre 620 officiellement exploités par l’État. On évalue le rendement total de ces puits à 440 millions de mètres cubes par an, quand ceux de l’État n’excèdent pas les 260 millions. Cette exploitation privée des ressources hydrauliques, outre qu’elle ne répond à aucune stratégie de gestion nationale, représente un danger pour la pérennité des nappes phréatiques. Le gouvernement se trouve dans une situation délicate, ne pouvant raisonnablement lutter contre une exploitation illégale des ressources, qu’il n’est lui-même pas capable de fournir en quantités suffisantes.

Des pénuries récurrentes

Hormis dans la région de Tripoli, qui bénéficie d’un service de distribution d’eau potable quasi continu, la grande majorité des citoyens libanais font face à des pénuries récurrentes, notamment en période sèche. Les habitants du Sud reçoivent en moyenne huit heures d’eau potable par jour, quand ceux de Beyrouth et du Mont-Liban n’en reçoivent que trois heures par jour l’été contre 13 heures le reste de l’année. Ces pénuries ne s’expliquent pas par l’absence de ressources en eau, chaque citoyen disposant théoriquement de 1 071 mètres cubes d’eau par an, mais à l’insuffisance des capacités de stockage, combinée à des pertes considérables dans les réseaux d’adduction, qui transportent l’eau jusqu’aux habitations. Malgré l’objectif ambitieux du ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques de construire 18 barrages et 23 lacs pour résoudre le problème de stockage, le barrage de Chabrouh, exclusivement réservé à l’eau potable, est le seul qui a été finalisé. Ce dernier, doté d’une capacité de 8 millions de mètres cubes par an, ne permet d’alimenter que la région du Kesrouan. Cependant, son rendement n’est pas à la hauteur des espérances, car, étant isolé, il ne peut compter sur le relai d’autres ouvrages desservant la même région, et, depuis sa mise en service en 2008, les conditions climatiques n’ont pas été favorables à son remplissage optimal.
Concernant les réseaux d’adduction, leur maintenance a été totalement négligée jusqu’en 1991. Depuis 2000, elle relève de la responsabilité des Établissements des eaux, établissements à caractère commercial ayant pour obligation d’atteindre l’équilibre financier, qui n’ont cependant pas les moyens financiers adéquats. Le ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques a financé des travaux à hauteur de 2,5 millions de dollars, et le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a pris en charge certains tronçons, mais cet effort reste largement insuffisant. Les pertes moyennes sont encore aujourd’hui estimées à 40 %.

Des ressources financières insuffisantes

Les Établissements des eaux sont pris dans un cercle vicieux. L’inefficacité de la collecte des factures les prive d’une part importante de revenus, qui empêche le recrutement d’effectifs supplémentaires nécessaires pour assurer une gestion optimale de la ressource et des infrastructures. Ainsi, sur les 4 000 employés jugés nécessaires par la loi pour un fonctionnement optimal des établissements, seuls 1 340 ont pour le moment été embauchés.
Le taux de recouvrement moyen des factures ne dépasse pas les 51 %, sachant qu’aucun recensement exact des foyers connectés aux réseaux publics n’est réalisé et qu’aucun dispositif juridique ne permet pour l’instant de poursuivre en justice un usager qui ne payerait pas ses factures. La seule solution dont disposent les établissements est de couper l’accès à l’eau de l’usager concerné. Mais ce dernier peut se rebrancher au réseau sans difficulté.
Au-delà du faible taux de recouvrement des factures, le prix de l’eau qui est fixé par les établissements est considéré comme un prix “social” qui ne prend pas en compte l’ensemble des coûts engendrés par la production et la distribution de l’eau. À défaut de tenir une comptabilité analytique élaborée, les Établissements des eaux n’ont d’ailleurs qu’une connaissance floue de ces coûts. Le prix est aujourd’hui fixé par chaque établissement selon un volume fixe d’un mètre cube par jour et par foyer, et non pas selon la véritable quantité d’eau consommée : il varie de 140 000 livres libanaises (93,3 dollars) par an dans la Békaa à 200 000 livres (133,3 dollars) dans la région de Beyrouth-Mont-Liban. L’Établissement de Beyrouth-Mont-Liban est le seul à être bénéficiaire, ce qui lui permet d’investir une partie de ses revenus dans la mise en œuvre de projets locaux. La gestion de l’eau au Liban présente ainsi de fortes disparités régionales. Sur les 1,5 milliard de dollars qui ont été investis dans le secteur de l’eau potable depuis le début des années 1990, la région Beyrouth-Mont-Liban a bénéficié de 36 % des investissements, contre 35 % dans le Nord, 14 % dans le Sud et seulement 2 % dans la Békaa.

Qu’entend-on par eau potable ?

On parle d’eau potable pour qualifier une eau dont les caractéristiques la rendent propre à la consommation humaine. L’eau potable peut provenir de diverses origines : l’eau de source naturellement potable qui ne nécessite qu’un traitement minimal (aération, décantation et filtration) et l’eau de surface qui requiert des procédés de traitement plus élaborés (physiques, chimiques, biologiques ou membranaires). L’ensemble de ces traitements permet de purifier l’eau en éliminant les micro-organismes nocifs qu’elle contient et qui peuvent provoquer des contaminations. Ces substances proviennent soit du milieu physique dans lequel l’eau a évolué, soit des rejets de certaines activités humaines (hydrocarbures, pesticides…).
La première étape du processus est le captage de l’eau à partir d’une source, d’une nappe phréatique, d’un cours d’eau ou du réservoir d’un barrage. Cette eau est ensuite acheminée vers une station de traitement, sauf dans le cas des eaux de source naturellement potables.
Après avoir subi un traitement pour la purifier (dégrillage et tamisage, floculation et décantation, filtration, chloration…), l’eau est ensuite distribuée vers les habitations à travers des réseaux d’adduction. L’eau qui arrive dans les robinets est donc théoriquement potable, à moins qu’elle n’ait été polluée au cours de son transfert dans les canalisations, ce qui est très souvent le cas au Liban.
 

 


 

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