La franchise a le vent en poupe dans le monde et connaît une croissance régulière, dans les pays européens notamment, malgré la crise. Le secret : un savoir-faire bien rôdé et la force des réseaux qui leur permettent de mieux s’en sortir que les indépendants.
 

C’est sans doute l’un des systèmes commerciaux qui a le plus réussi dans le monde. Son secret ? La systématisation des recettes qui a fait le succès d’une entreprise. « Un concept franchisé, cela signifie dupliquer à l’identique un savoir-faire qui a déjà fait ses preuves ailleurs », explique Marie-Rose Moins, de la Fédération française de la franchise, qui intervient au Liban dans le cadre des programmes de l’ESA. « Tout est franchisable, assure Nagi Morkos, du cabinet libanais Hodema, pour peu que l’on prenne la peine de standardiser ses produits. » La preuve ? Désormais, dans les pays occidentaux, si la restauration reste le gros pourvoyeur en matière de franchises, de nouveaux secteurs émergent comme le développement durable (énergies renouvelables, gestion des déchets…), les services à la personne (crèches, soutien scolaire, ménage, jardinage…) ou les centres de bien-être (massage, yoga, médecine douce, soins de beauté…).
Dans ses estimations pour 2010, la Fédération européenne de la franchise estime que 21 528 marques ont choisi de se développer en franchise dans le monde. L’Europe (chiffres 2009) est le plus gros contributeur avec 9 971 marques en franchise dans 20 pays européens (dont la Turquie), suivie par la Chine avec 4 000 enseignes et les États-Unis (2 200 marques) avec quelque 760 000 établissements franchisés sur son territoire. Au niveau européen, la France, chef de fil du mouvement, compte sur 1 477 réseaux, soit 58 351 établissements.
Impossible d’avancer une estimation fiable du chiffre d’affaires global. Toutefois, certains chiffres sont disponibles pays par pays : le secteur de la franchise a généré un chiffre d’affaires de 47 milliards d’euros en France en 2010. Ses réseaux ont connu une progression annuelle de 8 à 12 % depuis 2006 et la présence de franchisés sur l’ensemble du territoire français a augmenté également de 5 à 10 % chaque année. Pour le Royaume-Uni, le chiffre d’affaires de ce secteur représente 600 millions de livres (un peu plus de 982 millions de dollars), en progression également de 5 % entre 2010 et 2011, selon British Franchise Association. En ce qui concerne les États-Unis, une enquête de 2007, réalisée pour le compte de l’Association américaine de la franchise, donne les derniers chiffres connus : les franchises contribueraient pour 3,9 % du PIB américain et 468 milliards de dollars.

Franchise et mondialisation

Ce succès, la franchise le doit à la mondialisation économique dont elle est l’un des principaux véhicules. Le principe de standardisation, au cœur de son modèle économique, favorise un développement rapide et à moindre coût de l’entreprise, sur son territoire national comme à l’international. « C’est l’un des moyens les plus sûrs d’accélérer le développement de l’enseigne à coûts restreints, puisque le financement de son expansion n’est pas assuré en fonds propres, mais grâce à des tiers franchisés. La franchise s’avère moins coûteuse et moins risquée qu’une croissance interne », assure Raphaël Butruille, du cabinet de conseil Vertone. Avec l’accélération de la mondialisation, les délais entre la création de la marque et la constitution de son réseau se sont d’ailleurs raccourcis. Dans les années 50-70, la franchise n’intervenait que dans un second temps, une fois l’enseigne parvenue à asseoir sa réputation. La sandwicherie américaine Subway, par exemple, dont on trouve des enseignes à Beyrouth, a été fondée en 1965, mais a attendu jusqu’en 1974 pour se franchiser aux États-Unis, puis dans le monde. Aujourd’hui en revanche, peu de temps s’écoule entre la création de l’entreprise et l’installation des premiers franchisés. Un rapide coup d’œil au top 500 de la franchise américaine le confirme. La plupart se développent dans la foulée de leur lancement à l’image du numéro un en 2011, la chaîne hôtelière Hampton, fondée en 1983… et franchisée dès 1984. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises sont lancées avec, d’emblée, la forme d’un concept “franchisable”. Certains ouvrant même des franchises avant l’existence de la maison mère ! Le fast-food “chic” Living Colors, par exemple, création du Libanais Jean-Paul Ramy, propriétaire de la chaîne Café Blanc, a été franchisé à Djeddah, alors que la marque n’existait pas encore au Liban.
Côté franchisé, la franchise a aussi de multiples avantages : elle minimise notamment le risque d’échec en s’appuyant sur la force du réseau et la renommée d’une marque, déjà rôdées. S’y ajoute le fait qu’elle permet à beaucoup de franchisés de sauter le pas en douceur et de passer du statut de salariés à celui d’entrepreneur indépendant. Selon l’Observatoire de la franchise, qui mène une enquête annuelle sur ce secteur, 80 % des franchisés dépassent le cap des cinq premières années, contre seulement 50 % des commerçants isolés en France. « La franchise repose sur l’existence d’un concept éprouvé ; sur l’assistance d’une équipe centrale qui prodigue conseils et soutien sur le partage d’expérience qui favorise l’échange de connaissance », fait valoir Anne-Marie Moins, responsable de la formation à la FFA.

Un mariage idéal ?

On pourrait croire que la franchise relève du “mariage” idéal pour reprendre l’image du président de la Lebanese Franchise Association (LFA), Charles Arbid. Ces épousailles sont – comme dans la réalité – parfois aussi sources de désillusions, surtout lorsque l’un ou l’autre des partenaires ne mesure pas exactement les risques qu’il prend.
Lancer une franchise coûte cher. En Europe, le candidat doit compter sur une mise de fonds personnelle de l’ordre de 200 000 euros, qui inclut la fameuse redevance forfaitaire initiale (RFI), soit le ticket d’entrée dans le réseau. Selon les secteurs (et aussi selon les réseaux), cette RFI varie : la restauration (30 000 euros en moyenne) et l’habitat (20 000 euros) arrivant en tête des secteurs les plus gourmands. Ensuite, tout au long de la vie du contrat, le franchisé devra verser à la tête de réseau des “redevances d’exploitation”. Ces royalties sont la plupart du temps proportionnelles au chiffre d’affaires réalisé (de l’ordre de 4 à 6 % en moyenne) ou parfois forfaitaires. Elles sont censées couvrir les frais de formation et d’assistance régulière apportés aux franchisés. S’y ajoutent aussi des redevances de publicité destinées à financer les campagnes nationales de l’enseigne pour accroître son rayonnement (2 % du chiffre d’affaires en moyenne). Sans compter sur les les investissements à prévoir pour le foncier et l’aménagement du local. Au final, le franchisé peut escompter un revenu moyen mensuel de 2 700 euros (France), ce qui représente au final le salaire d’un cadre moyen.
L’autre inconvénient, c’est de se retrouver pieds et poings liés avec une marque, sans moyens pour influencer sa communication. Lorsque l’enseigne est sur une pente ascendante, cela ne pose guère de difficultés ; mais lorsque celle-ci tangue sur ces bases, cela s’avère dangereux. Certains réseaux “in” un moment se retrouvent ainsi “out” à un autre. La faute à l’air du temps parfois, comme dans le cas de la chaîne Hard Rock Café dont la thématique “Rock & Roll” est passée de mode. Parfois aussi, des erreurs stratégiques sont commises : Starbucks, par exemple, a ouvert trop d’emplacements en même temps, banalisant son concept au point de le mettre en danger au tournant des années 2000. Même si le groupe américain tente depuis de relever la barre, ses concurrents, Mc Donald’s en tête, en ont profité pour ouvrir des concepts quasi similaires (et moins chers) et gagner des parts de marché.

Une seule stratégie : celle du franchiseur

C’est surtout en termes de stratégie que les franchisés n’ont pas leur mot à dire. C’est le cas d’un réseau comme Le Pain Quotidien, concurrent haut de gamme des cafés-boulangeries de type Paul. En 2002, une holding financière américaine PQ Licensing a racheté cette marque belge et pris la tête d’un réseau mondial de 140 magasins dans 19 pays. Cette acquisition a été suivie d’un repositionnement “haut de gamme” sans concertation avec le réseau de l’enseigne. Dans un témoignage, daté de 2006, et paru dans le magazine Hôtellerie et Restauration, un franchisé du Pain quotidien remet en cause « le positionnement trop élevé de la carte, qui nécessite l’emploi d’un salarié supplémentaire et qui porte atteinte à l’équilibre financier des franchisés », ajoutant : « PQ Licensing a supprimé notre salade best-seller de la carte pour la remettre trois mois plus tard, sous la pression des clients. Il majore le prix de vente des produits, fait payer des royalties sur tout, ajoute des circuits de transports… Si on ne fait pas un million d’euros de chiffre d’affaires, on ne peut pas s’en sortir. Les marges sont trop faibles. »
Mais le véritable risque se pose quand la franchise devient le cœur même du business. Grâce aux droits d’entrée et aux redevances annuelles (voir définitions), le réseau permet de faire rentrer de l’argent dans la trésorerie du franchiseur sans trop d’efforts. En la matière, Subway, premier réseau mondial de restauration rapide avec quelque 34 000 établissements dans 98 pays, fait figure de cas d’école. Fondé aux États-Unis en 1974, par un certain Fred de Lucca, aujourd’hui millionnaire, ce réseau a été régulièrement épinglé pour sa politique commerciale. « De toutes les formes d’abus que l’on peut imaginer, Subway fournit l’un des exemples-clés », peut-on lire sous la plume de l’économiste Dean Sagar dans un rapport daté de 1998. Parmi les litiges récurrents : une politique d’extension du réseau en franchise agressive, qui appâte les candidats à la franchise grâce à des exonérations de charges, mais sans jamais tenir compte des potentiels des emplacements choisis ou de la capacité des franchisés choisis. « Une des particularités de Subway est qu’il accepte des franchisés qui sont en situation financière précaire. Souvent ce sont des immigrés récents aux États-Unis qui obtiennent ainsi un moyen de rester aux USA. Ils s’endettent lourdement pour ouvrir leur premier Subway et, ensuite, ils se retrouvent quasi otages de la chaîne. Les autres réseaux de fast-foods, McDonald’s en particulier, ont généralement des critères financiers plus rigoureux, ils choisissent des franchisés aux reins plus solides », témoigne un avocat, dans un article du quotidien français Libération. À faire croire que l’on peut devenir un entrepreneur indépendant du jour au lendemain, le système de la franchise entretient une illusion, qui peut parfois s’avérer cauchemardesque.