Une étude estime à 3,2 milliards de dollars le chiffre d’affaires généré par les franchises au Liban. Au regard des pays occidentaux, c’est encore très peu. Mais le développement de ce mode de distribution est sur les rails : Beyrouth est en train de devenir une plaque tournante pour les marques de luxe, tandis que certaines enseignes libanaises parviennent à se régionaliser.
 

Une étude réalisée au moment du salon Beyrouth International Franchise Expo (2010) chiffre le marché libanais de la franchise à 3,2 milliards de dollars. L’étude estime également qu’une trentaine de marques libanaises, la plupart dans le secteur de la restauration, ont su créer des concepts suffisamment porteurs pour espérer un succès à l’international de leur franchise. Et de citer Rectangle Jaune, Nai Lingerie, Café Blanc, Casper & Gambini’s, Crepaway, Colombiano Coffee House, La Maison du Café, Al Rifai. Pour Charles Arbid, président de la Lebanese Franchise Association (LFA), qui regroupe 180 enseignes, ces chiffres reflètent le développement de la franchise au Liban : « La majorité des grandes enseignes internationales sont aujourd’hui présentes à Beyrouth et les marques libanaises ont démarré la standardisation de leur concept pour se franchiser à leur tour. »
Ce sont des groupes comme l’ABC, Azadea ou Abchee qui trustent ces contrats avec les grandes marques internationales. La plupart fondent et gèrent par eux-mêmes les points de vente des enseignes en franchise. Christine Sfeir, qui a pris la franchise de Dunkin’ Donuts pour le Liban en 1998, gère ainsi directement les 31 points de vente de la marque au pays du Cèdre. « L’investissement de la maison mère, en termes de temps ou de formation, serait trop lourd pour l’ouverture d’un seul magasin. Il faut penser sur un territoire plus global », prévient-elle.
L’apparition de ce mode de distribution, fer de lance de la mondialisation, est encore récente au Liban. Les premières franchises se sont installées vers la fin des années 1990. Comme presque partout dans le monde, les chaînes de fast-food, dont le succès est intimement lié au concept de réseau en franchise, ont d’abord inondé le marché libanais. Elles ont ensuite été suivies par l’arrivée des fast-retails, ces chaînes de vêtements comme Zara ou Mango, deux franchises du groupe Azadea, aujourd’hui présentes dans tous les quartiers de Beyrouth.

Franchise vs agence exclusive

Cette présence familière ferait presque oublier qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Auparavant, Beyrouth était dominée par le système des agences commerciales, dites “exclusives” au Liban du fait du monopole qu’elles induisent. Héritage du mandat français, ces représentations commerciales sont toujours régies par la loi n° 34 de 1967, qui restreint l’importation des produits des marques sous contrat à leurs seuls agents désignés et enregistrés (d’où le terme d’agence exclusive) et qui limite les possibilités de sortie pour les fournisseurs étrangers. « La loi ne permet pas la résiliation de ces contrats sans une faute du représentant local », avertit l’avocat Karim Torbey. Dans les années 1980, l’État a limité cette garantie juridique aux seuls articles de luxe puis, en 2002, le gouvernement a envisagé d’abolir cette pratique “anticoncurrentielle”, mais cette volonté est restée sans suite.
Aujourd’hui, il semble difficile de marquer la différence entre ces deux modes de distribution. « Le choix de l’un ou de l’autre mode de distribution revient à chaque marque », prévient Nadim Chammas, directeur du département Fashion du groupe M1 (Mikati), qui détient la marque Façonnable et cherche à développer un portefeuille d’enseignes internationales « sans préjuger pour l’heure du mode de distribution ». Deux éléments les distinguent cependant, qui peut faire pencher la balance en faveur de l’un de ces modes de distribution plutôt que de l’autre : la franchise implique la transmission d’un savoir-faire (du franchiseur au franchisé), dont il n’est pas question dans la relation avec une agence exclusive tandis que l’agence commerciale implique la notion d’exclusivité territoriale, une notion qui reste subalterne dans le contrat de franchise.
D’une manière générale, la franchise correspond plutôt à des marques en manque de notoriété. Ces enseignes tentent alors de combler leur déficit en matière d’image grâce à la création d’un large réseau de points de vente mono-marques. Au contraire, l’agence exclusive, qui recourt à une licence d’exploitation, est censée mieux convenir aux enseignes à forte notoriété, en particulier les enseignes de luxe, car elle implique la notion de représentation davantage que celle de réseaux. « Dans un magasin d’une marque de grande consommation, le consommateur attend une expérience d’achat identique, qu’il soit à Beyrouth ou à New York ou à Paris. L’uniformité de l’offre, des prix et de la décoration des points de vente le rassurent. C’est ce qu’offre le système de la franchise. Mais dans le cas d’une maison de luxe, en revanche, le consommateur attend une expérience unique, qui soit différente d’un magasin à l’autre », explique Nadim Chammas. En théorie donc, le contrat de franchise ne répond pas aux besoins d’une maison de luxe, qui refuse la standardisation consubstantielle à la franchise. Pourtant, ces enseignes, qui auparavant recourraient à des contrats de représentations commerciales, semblent désormais aussi trouver à la franchise des charmes insoupçonnés. Parmi les marques récentes à s’être implantées au Liban, la majorité a choisi ce mode de distribution. Hermès est une franchise obtenue par le groupe Galop de même que le restaurant Momo que gère le groupe Hospitality Service (Solidere). « Bien avant le fast-retail ou le fast-food, les marques de luxe ont normé leurs valeurs, édicté des protocoles afin de protéger les valeurs de leur marque », précise Nadim Chammas, qui poursuit : « Ce n’est pas la constitution d’un réseau qui importe ici, mais davantage la souplesse que sous-tend la franchise. »
Cette souplesse est d’abord d’ordre contractuel. La franchise s’avère moins contraignante que le système des agences exclusives, en particulier du fait des difficultés pour une enseigne internationale de sortir de la relation à moins de lourdes compensations. Mais une seconde justification peut être avancée, liée cette fois à la nécessité pour ces enseignes de maîtriser leur image de marque. Comme le note l’avocat Karim Torbey : « Le contrat de franchise est beaucoup plus développé du fait notamment des obligations contractuelles qui lient les deux parties et instaurent une étroite collaboration. » En instaurant cette “collaboration”, la franchise permet à la marque de mieux défendre ses “valeurs” et de garder la maîtrise de son image.
Le développement accéléré de la franchise au Liban n’a cependant pas le même effet qu’ailleurs en termes de promotion de l’entrepreneuriat : dans les pays développés, la franchise est un moyen facile de devenir son “propre patron”, avec un risque réduit. En France, par exemple, les enquêtes révèlent que le candidat à la franchise est souvent un cadre, relativement âgé, en reconversion, qui en profite pour se lancer en indépendant. Mais à Beyrouth ce cas de figure n’existe pas : le pays ne représentant pas un territoire suffisamment important pour intéresser les marques à lui seul, celles-ci recourent à des groupes pour les représenter. « Elles recherchent des groupes qui soient en mesure de les développer régionalement », précise un restaurateur libanais qui s’est trouvé confronté au cas de figure : « Je souhaitais importer un concept de restaurant international au Liban. On m’a répondu que c’était le Moyen-Orient et les pays du Golfe ou rien... » En d’autres termes, le ticket d’entrée est rédhibitoire pour un individu lambda. Ce large territoire explique d’ailleurs que les enseignes étrangères choisissent le système de la master franchise (voir définition), une sorte de “superfranchisé”, qui représente la marque sur un territoire donné et délègue à des sous-franchisés pour des portions de territoires plus restreintes. Pour la marque, l’avantage est clair : « Elle délègue son développement à un master franchisé, qui est censé bien connaître le marché de son pays ou de sa région », précise Raphaël Butruille, du cabinet Vertone. À charge pour celui-ci de trouver les bons “sous-franchisés” qui assureront le développement de la marque sur des portions plus restreintes de ce territoire.

Des investissements élevés

Le fait de recourir à des groupes de master franchisés implique un ticket d’entrée largement plus onéreux que dans les pays occidentaux où l’on peut souvent solliciter l’enseigne pour l’ouverture d’un seul point de vente. « C’est selon les secteurs et selon la réputation de la marque », avance Nagi Morkos du groupe Hodema. Toutefois, certains intervenants estiment que le ticket d’entrée tourne autour de 30 000 dollars pour un point de vente et les redevances de l’ordre de 5 à 7 % du chiffre d’affaires. Cette estimation reste indicative : « Il faut la multiplier par le nombre d’ouvertures envisagées », prévient Nagi Morkos.
Cette estimation reste d’autant plus incertaine que l’arrivée de nouvelles enseignes internationales fait flamber les prix. Momo aura coûté quelque 4 millions de dollars à Solidere et la ville bruisse de mille rumeurs en ce qui concerne le prix payé pour l’ouverture de certains restaurants en franchise comme l’Atelier de Joël Robuchon ou l’arrivée des chefs étoilés comme Yannick Alléno (hôtel Meurice) ou Antoine Westermann (restaurant Drouant). « Comme dans le cas de The Pearl au Qatar, l’ouverture de ces grandes enseignes n’est pas dictée par leur rentabilité prévisionnelle, mais par le besoin de Solidere de conserver le prestige de ces réalisations immobilières », fait valoir un consultant qui y voit une “dérive du système”, risquant de compromettre le développement des franchises au Liban en déconnectant l’investissement engagé de sa rentabilité escomptée.
 

Quand les Libanais se franchisent

Les marques libanaises sont peu nombreuses à se développer sous franchise au Liban. La chaîne de restaurant Semsom, fondé en 2008, assure ainsi son expansion par elle-même au Liban. Et signe des contrats de master franchise avec des groupes dans les pays où elle souhaite s’implanter. La raison ? Certains avancent que le Liban ne représente pas un territoire suffisamment important pour que son maillage s’effectue sous franchise. D’autres estiment que c’est aussi dû à un manque de confiance et à la peur d’opérateurs indélicats. Lorsque les marques libanaises décident de franchiser, elles s’intéressent à leur environnement proche : le Moyen-Orient et les pays du Golfe. D’une part, parce que la culture commune favorise l’implantation. D’autre part, parce que les liens entre la maison mère et son réseau ont besoin de proximité. « Qui dit franchise, dit la mise en place d’un système d’assistance et de formation pour adapter le concept. Pour cela, il faut que le siège de la marque ne soit pas éloigné de son réseau. C’est précisément pourquoi nous n’envisageons pas de nous installer au Canada, ou aux États-Unis. Cela viendra dans un second temps quand nous pourrons ouvrir un bureau dans cette région du monde », précise Christine Sfeir, à l’origine de la marque Semsom.