La crise politique en Syrie a déjà un impact sur les exportations agricoles et industrielles libanaises, et indirectement sur le tourisme. Mais les perturbations économiques en Syrie pourraient aussi bénéficier à certains segments de l’économie libanaise.

« Les chambres frigorifiques de stockage des pommes de terre dans la Békaa sont pleines, les producteurs n’arrivent pas à écouler leurs marchandises », déplore Said Gédéon, directeur du département agricole de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Zahlé. L’exemple de la pomme de terre - l’un des produits agricoles les plus exportés par le Liban vers la Syrie et les pays arabes - illustre bien les difficultés des exportateurs agricoles libanais depuis la crise politique chez le voisin syrien. « La Syrie importait environ 30 000 tonnes de pommes de terre par an du Liban, cette année, on devrait arriver à 15 000 tonnes, car la demande intérieure syrienne a beaucoup baissé », affirme Ibrahim Tarchichi, président du syndicat des agriculteurs de la Békaa.

La deuxième saison de pommes de terre, qui commence en novembre, s’annonce problématique. Et d’autres productions, comme le raisin ou les pommes pourraient être touchées elles aussi.

La crise en Syrie a également des répercussions sur certains secteurs industriels, notamment le marché du ciment. Le Liban produit environ 6 millions de tonnes par an, dont environ 1,5 million sont exportées, essentiellement vers la Syrie, l’Irak et l’Egypte. La Cimenterie nationale exporte annuellement 700 000 tonnes de ciment sur les trois millions de tonnes qu’elle produit. La moitié des exportations se dirige traditionnellement vers la Syrie. « Depuis avril, nos exportations vers la Syrie, qui étaient de 100 000 tonnes par trimestre, sont tombées à 30 000 tonnes. La situation sécuritaire à Homs, passage obligé vers Damas et Alep, a compliqué le transport des marchandises. La demande syrienne s’est réduite, et la rareté des devises étrangères a poussé les Syriens à limiter leurs importations », analyse Adib el Hachem, directeur marketing à la Cimenterie nationale.

Jamil Bou Haroun, directeur développement de la société Holcim, qui a exporté en 2010-2011 moins de 10% de sa production, voit dans la crise régionale des signes inquiétants. «Nous nous sommes focalisés depuis quelques années sur le marché intérieur, en plein boom, mais tout indique que le secteur va stagner à présent. Si les exportations vers les marchés captifs baissent, il va falloir se tourner vers des pays européens, avec des baisses de prix pour pouvoir rester compétitifs ».

Les professionnels du tourisme font aussi grise mine, après deux années 2009 et 2010 exceptionnelles. Le nombre de touristes a baissé de près de 25% sur les huit premiers mois de 2011 par rapport à 2010, ce qui s’explique à la fois par la situation en Syrie et les incertitudes politiques au Liban. « De janvier à septembre, les recettes des hôteliers ont diminué de 37% par rapport à la même période en 2010 », estime Pierre Achkar, président du syndicat des hôteliers.

Les difficultés économiques du régime alaouite en Syrie pourraient cependant avoir des effets bénéfiques pour l’économie libanaise. Notamment dans les secteurs où la Syrie exerçait une politique de dumping pour soutenir son marché intérieur. C’est par exemple le cas de la filière volaille. « La Syrie, qui exportait illégalement de la volaille au Liban n’est plus en mesure de le faire, la production syrienne a baissé d’environ 50%. La contrebande de volaille, qui représentait 30% du marché libanais, est tombée à 10% et le flot est beaucoup moins régulier », explique Alfred Moukarzel, propriétaire d’un élevage industriel de poulets à Salima. « Plusieurs éleveurs dans la Békaa et surtout dans le Sud ont doublé leur production ces six derniers mois et comptent la tripler d’ici dix huit mois », poursuit Alfred Moukarzel.
Les sanctions économiques visant le régime de Bachar el Assad ont aussi favorisé indirectement certains importateurs libanais dans l’agroalimentaire. Avant la crise, le Liban exportait ou réexportait très peu de matières premières agroalimentaires (blé, sucre, riz…), mais depuis quelques mois, le pays du Cèdre sert d’intermédiaire.