Un article du Dossier

L’économie syrienne est durement affectée

L’économie syrienne a terriblement souffert de la protestation qui touche le pays depuis la mi-mars. Peu de secteurs ont été épargnés alors que l’impact politique de ces difficultés reste difficile à prévoir.

L’année 2011 a été en tous points catastrophique pour l’économie syrienne. Les investissements et la consommation ont fortement baissé entraînant une chute sévère de l’activité, alors que les sanctions internationales et la fuite des touristes ont fait perdre à la livre syrienne près du quart de sa valeur par rapport aux principales monnaies. Il faut ajouter à cela un déficit budgétaire qui a explosé en raison d’une hausse spectaculaire des dépenses et des réserves de change qui ont été entamées. Le fait que le gouvernement ne publie quasiment plus de chiffres depuis des mois rend toutefois difficile une estimation réelle de ces indicateurs.
Les conséquences du soulèvement populaire qui a gagné la Syrie depuis le mois de mars sont donc très importantes. Le fait que la contestation ait commencé dans la ville de Daraa, centre d’une région agricole relativement délaissée, et qu’elle se soit étendue aux régions les plus défavorisées du pays a posé la question des motivations profondes du mouvement et fait croire un moment aux autorités syriennes que des concessions d’ordre socio-économique suffiraient à faire taire la révolte. Ces concessions ont un coût économique significatif et contribuent à poser la question de l’impact éventuel de la récession économique sur la survie du régime du parti Baas, en place en Syrie depuis près de 48 ans.

Une crise qui touche tous les secteurs

Au vu de la rareté des données statistiques disponibles, il est difficile de fournir une analyse de l’état réel de l’économie. Ainsi les données sur le nombre de touristes ayant visité le pays, qui étaient d’habitude publiées chaque trimestre, ne l’ont pas été depuis le début de cette année. Ceux de la Banque centrale sur les principaux indicateurs du secteur financier, publiés normalement chaque mois, ne l’ont pas été depuis le mois de mai.
Il y a peu de doutes, cependant, sur le fait que l’activité économique dans son ensemble a été très affectée. Certains secteurs ont souffert plus que d’autres. La Syrie espérait pourtant renouer avec une forte croissance cette année après une année 2010 un peu terne due à la crise économique et financière mondiale dont l’impact a été un peu décalé.
Parmi les plus touchés, on peut citer le tourisme, le transport, le commerce de détail et la communication.
Le pétrole, qui joue un rôle prépondérant que ce soit au niveau du PIB, des recettes fiscales ou de celles en devises, semblait un moment pouvoir résister et permettre de stabiliser un peu le niveau général d’activité. Les sanctions européennes adoptées début septembre ont douché ces espoirs et le secteur sera probablement en chute d’environ 10 % sur l’année.
L’immobilier a paru un temps pouvoir bénéficier de la crise, car il constitue un refuge pour les nombreux épargnants, mais au fil de l’année l’activité est retombée. Dans la finance, l’un des seuls domaines à publier des chiffres, les profits sont restés stables alors que les actifs du secteur bancaire ont baissé de 14 % sur les neuf premiers mois de l’année.
Seule l’agriculture, peu touchée par les troubles et bénéficiant de niveaux de pluies satisfaisants, va croître. Grâce à sa contribution relativement importante dans l’économie, elle permettra de freiner la chute d’ensemble.

Une politique de développement en question

L’un des impacts les plus profonds sur le long terme est le doute qui s’est créé sur la politique économique syrienne. Après des décennies d’orthodoxie socialiste, le parti Baas avait adopté en 2005 le modèle d’économie sociale de marché. Le rôle de l’État se voyait largement restreint au domaine social et sociétal, alors que le privé se devait de prendre en charge la production.
À cela s’ajoutait une politique de libéralisation du commerce extérieur et un encouragement à l’investissement dans les secteurs des services : finance, transport et logistique, commerce et tourisme. Par ailleurs, le gouvernement annonçait à la fin 2010 une disparition graduelle sur cinq ans des subventions sur les produits énergétiques, une mesure qui devait permettre l’économie de milliards de dollars.
Le début du mouvement de contestation mi-mars a cependant tout chamboulé, remettant en cause l’ordre des priorités.
En l’espace de quelques semaines, le gouvernement annonçait une augmentation des salaires des fonctionnaires de 20 à 30 %, une augmentation des subventions sur les produits pétroliers (à travers la baisse de 25 % du prix du mazout), la baisse des droits de douane sur de nombreux produits de consommation courante et toutes sortes d’aides financières aux agriculteurs, étudiants, chômeurs et autres catégories sociales. Les autorités syriennes annonçaient aussi qu’elles allaient remettre en cause les accords de libre-échange signés avec la Turquie et le monde arabe.
L’impact de ces annonces a été tel sur la confiance des investisseurs et sur les équilibres budgétaires que le gouvernement a semblé se rendre compte assez rapidement qu’il faisait fausse route. Alors que l’année touchait à sa fin, le ministre de l’Économie avouait que la politique de subventions était « insoutenable » et annonçait une baisse de 25 % des dépenses courantes de l’administration publique.
Non seulement le gouvernement n’a pas réussi à mettre fin à la grogne sociale – objectif non avoué de ces mesures –, mais il s’est mis dans une mauvaise posture en faisant des promesses irréalistes. Un retour en arrière apparaît pourtant à l’heure actuelle beaucoup trop risqué politiquement.

L’impact politique de la crise économique

L’impact de la détérioration de la situation économique sur la population se fait sentir de manière croissante. Mi-décembre, les files d’attente aux stations-service pour l’achat de mazout s’allongeaient alors que de nombreuses régions du pays n’étaient approvisionnées en gaz domestique qu’avec grande difficulté. Ainsi, à Jaramana, une banlieue de Damas, une bouteille de gaz, quand elle était disponible, se vendait à 1 000 livres syriennes, soit trois fois son prix officiel.
Bien que peu de données officielles existent, le chômage semble être largement parti à la hausse suite à la fermeture de nombreux établissements et aux réductions d’effectifs. L’inflation est également en croissance, entraînée par la baisse de la livre syrienne qui renchérit les produits importés. Le président de la société de protection des consommateurs estimait mi-décembre que le pouvoir d’achat des salariés du secteur public avait baissé de 25 % depuis le mois de mars.
La réaction attendue de la population face à la baisse de son pouvoir d’achat fait l’objet de nombreuses spéculations, mais les véritables problèmes d’approvisionnement de gaz et de mazout ainsi que la hausse sensible du coût de la vie n’ont commencé à se faire sentir qu’au début de l’hiver, rendant toute évaluation de l’impact de la crise économique sur des changements politiques éventuels difficile à faire.
Dans les centres principaux de la révolte, Homs, Hama, Daraa, Idlib, les banlieues de Damas, la population n’a pas attendu la détérioration de la situation économique pour se soulever. Dans les autres villes et régions, le mouvement de protestation reste faible, en tout cas dans son affirmation publique.
La réaction de la communauté d’affaires est aussi ambiguë, même si contrairement aux idées reçues beaucoup ont quitté le navire depuis longtemps.
Dès le mois de juillet, la Chambre de commerce de la ville de Deir ez-Zor, à l’extrémité est du pays, condamnait ainsi les agissements des services de sécurité. Dans d’autres villes du pays, les commerçants participaient de façon plus ou moins volontaire aux appels à la grève lancés par l’opposition.
Cette forme de protestation semble d’ailleurs gagner de l’importance avec un appel à la grève lancé le 11 décembre qui a été suivi de manière relativement importante dans plusieurs régions du pays, même si les deux grands centres économiques, Damas et Alep, n’y ont pas participé.
La baisse attendue du commerce bilatéral avec la Turquie, conséquence de la suspension de l’accord de libre-échange décidée par le gouvernement syrien en réaction aux sanctions économiques turques, est susceptible d’affecter de manière sérieuse la ville d’Alep, jusque-là acquise au gouvernement.

Perspectives 2012

Les perspectives économiques pour l’année 2012 ne s’annoncent guère meilleures.
Tout au long de l’année en cours, les États-Unis et l’Union européenne ont annoncé une série de sanctions visant à asphyxier l’économie syrienne dont l’impact s’est accentué au fil des mois. Les sanctions comprennent la fin des importations de pétrole syrien – ainsi que de son financement et de son transport –, une interdiction de toute transaction bancaire en dollars avec la Syrie et le gel des avoirs de nombreuses entreprises et personnalités.
Ces décisions rendent les relations commerciales avec le monde extérieur très difficiles et posent la question du déficit budgétaire et des rentrées en devises, en bonne partie tributaires des exportations de pétrole.
Des sanctions annoncées par la Ligue arabe en fin d’année ont renforcé la pression même si la menace d’un embargo commercial par les pays membres de la Ligue semblait peu vraisemblable au vu de la volonté affichée des voisins de la Syrie – Irak, Jordanie et Liban – de ne pas l’appliquer et de continuer à commercer avec elle.
Sur le plus long terme, la crise a permis de mettre en exergue les faiblesses structurelles dont souffre le pays. Bien que la Syrie ait une des économies les plus diversifiées de la région – sept secteurs d’activités génèrent chacun plus de 5 % du PIB – et de nombreux atouts, telle la taille de son marché et son extraordinaire situation géographique, l’économie syrienne continue à être l’une des moins compétitives de la région.
Elle attire ainsi moins d’IDE que la Jordanie – un pays sans beaucoup de ressources naturelles dont la population est cinq fois plus petite – et se classe régulièrement parmi les pays les moins performants dans tous les classements mondiaux, que ce soit pour la compétitivité de son économie ou pour les niveaux de corruption.
Ce manque d’attractivité relatif de la Syrie est à mettre au compte de la faiblesse de son environnement des affaires.
La bureaucratie et la corruption y sont endémiques, le système judiciaire totalement inféodé aux intérêts des personnes les mieux introduites alors que l’administration publique est totalement démobilisée et déresponsabilisée.

Quelle sortie de crise ?

Un scénario de sortie de crise pacifique et rapide semble difficile à imaginer en cette fin d’année 2011 au vu de l’escalade du nombre d’incidents armés et alors que selon les Nations unies le bilan humain dépasse les 5 000 morts.
Les autorités syriennes sont à la recherche de solutions leur donnant un peu de marge. Un accord établissant une zone d’échange préférentiel avec l’Iran a ainsi été signé mi-décembre avec l’espoir qu’il offre un répit temporaire en permettant l’écoulement des produits locaux et des ressources alternatives de devises.
Seule une initiative politique sérieuse semble cependant à même d’offrir une solution à long terme.

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