Quel rôle l’AFD joue-t-elle au Liban ?
L’AFD a quatre axes stratégiques d’engagement : la lutte contre la pauvreté ; le soutien à la croissance économique durable ; la valorisation des biens publics mondiaux (tels le climat, la biodiversité…) ; et l’appui aux États en crise ou sortant d’une crise. Ils s’appliquent tous les quatre dans nos programmes au Liban, un pays avec lequel la France entretient historiquement des relations privilégiées. C’est ce qui explique d’ailleurs que le Liban a été intégré dans le champ d’intervention de l’agence dès 1999, avant la Syrie, l’Égypte ou la Jordanie.


Sur un total d’aide budgétaire directe de 375 millions d’euros promise à la conférence de Paris III, seuls 150 millions ont été décaissés, pourquoi ?
La France a alloué une aide budgétaire de 500 millions d’euros au Liban lors de la conférence de Paris II en 2002. Elle a été décaissée en un versement à travers un prêt à 15 ans très bonifié de l’AFD garanti par l’État. Ce prêt est en cours de remboursement.
Lors de la conférence de Paris III, en 2007, l’appui budgétaire a porté sur 375 millions d’euros dont 150 ont été décaissés dès la signature, le déblocage du reste étant subordonné à des réformes sectorielles : 125 millions pour celle des télécoms et 100 millions pour celle de l’électricité.
Le dernier délai pour le décaissement est fixé au 30 novembre 2012. Sur le dossier des télécoms, les conditions du décaissement ont été amendées, mais il n’y a encore aucune demande concrète de la part du gouvernement libanais. Sur le dossier de l’électricité, après l’adoption d’une stratégie sectorielle en juin 2010 et sa confirmation en octobre 2011, nous avons été sollicités par le ministère des Finances pour une avance de 30 %. L’examen de la demande est en cours.

Quel est l’intérêt de l’aide budgétaire directe ?
Elle est utilisée en temps de crise financière. C’était réellement le cas en 2002, mais beaucoup moins en 2007... Sur le plan strictement budgétaire il n’y avait pas réellement d’urgence au moment de Paris III, mais la France a voulu manifester ainsi son soutien à l’État libanais après la guerre de 2006 et plus particulièrement aux réformes de fond du secteur public.
Dans ce contexte, la technique de l’aide budgétaire directe avait l’avantage d’un décaissement rapide.

Votre enveloppe globale de financement de projets est de 275 millions d’euros à ce jour, à quoi est-elle affectée ?
Nous avons financé l’État pour des projets d’infrastructure d’une part, notamment pour l’assainissement et la distribution de l’eau ou le développement urbain, et les banques, d’autre part, pour refinancer des crédits aux PME affectées par la guerre de 2006 ; des prêts destinés aux étudiants défavorisés ; et des crédits aux hôpitaux privés assortis de conditionnalités liées au respect du label vert sur gestion des déchets hospitaliers et l’environnement hospitalier.

Quelles nouvelles pistes de coopération explorez-vous ?
Nous étudions la possibilité de contribuer à hauteur de 40-50 millions d’euros au financement du plan quinquennal du ministère de l’Éducation qui a été approuvé en avril 2010 par le gouvernement libanais pour un montant global de 300 millions d’euros. La Banque mondiale, l’Union européenne et USAID sont également mobilisées, ainsi que des États du Golfe. Notre décision sera prise dans le courant de l’année 2012.
Nous sommes aussi en phase d’identification de possibilités d’intervention dans le secteur de la santé, celui des transports et de l’électricité, ou encore le circuit de la distribution de produits agricoles.
Enfin, une étude de faisabilité est en cours pour une ligne de crédit à la Banque centrale pour le refinancement de crédits liés à l’énergie renouvelable ou à l’efficacité énergétique.

Comment évaluez-vous la “capacité d’absorption” de l’État libanais des projets financés par les bailleurs internationaux tels que vous ?
Le problème de la capacité d’absorption du Liban est grand. Ce n’est pas nouveau. Nous sommes confrontés, d’une part, aux lacunes de la gouvernance publique, liée aux faiblesses institutionnelles de la maîtrise d’ouvrage et, d’autre part, à la difficulté de la prise de décisions pour des considérations politiques.
Le débat sur la répartition des rôles entre le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), qui joue le rôle de maître d’ouvrage en assurant le financement des gros projets d’infrastructures publiques, et certains ministères à qui revient la définition de la stratégie est révélateur. Ce n’est pas mon rôle de prendre position, mais je pense qu’un ministère qui établit une stratégie mais n’a pas de rôle dans son application est un ministère orphelin.
Quand à la dispersion institutionnelle s’ajoutent les clivages politiques, on se retrouve en présence d’institutions ou d’administrations qui fonctionnent comme autant de camps retranchés. L’absence de pratique de l’arbitrage interministériel aggrave la situation. L’absence de répartition des tâches entre le secteur public et le secteur privé – malgré la capacité libanaise à bien jouer de la logique d’une économie libérale – est un autre paradoxe. Ce partage présuppose une définition précise des fonctions régaliennes de l’État. Je suis frappé de constater à quel point la notion éthique de l’intérêt public n’est pas une référence forte au Liban où le consensus résulte d’une addition plus ou moins bien ajustée d’intérêts particuliers (qu’ils soient politiques, économiques, confessionnels…) et coexiste avec des poches de sous-développement majeures. En matière de santé par exemple, le décalage est flagrant entre la faiblesse de la couverture médicale et la présence d’un système de soins très performant.

 

Les autres volets de la coopération française
Les enveloppes financières de la coopération française au Liban ne se limitent pas aux interventions de l’AFD. La coopération en matière de défense, de sécurité intérieure et de coopération culturelle et éducative atteint 50,5 millions d’euros depuis 1999.

Créée par De Gaulle à Londres
L’Agence française de développement (AFD) est l’héritière de la Caisse de la France Libre, créée par le général Charles de Gaulle à Londres en 1941 pour faire office de Trésor républicain. En 1944, après le rétablissement de légalité républicaine, elle devient la Caisse de la France d’Outre-Mer et sert de banque de développement pour l’outre-mer, c’est-à-dire de Trésor pour les colonies françaises. Au fil de la décolonisation, elle se transforme en banque de développement sous le nom de Caisse centrale de coopération économique (qui sera rebaptisée dans les années 1990 l’Agence française de développement) et intervient comme organe de l’aide au développement de l’État français.
À la fin des années 1990, la réorganisation de la coopération française confère un rôle particulier à l’AFD qui devient l’institution pivot de la coopération française. En plus de sa zone d’activité naturelle héritée de l’époque coloniale, elle élargit progressivement son intervention au bassin méditerranéen, à l’Asie et à l’Amérique latine.