Un article du Dossier

Le marché automobile, une croissance trompeuse

Un projet de loi entend permettre l’importation de voitures neuves fonctionnant au diesel. Mais le manque de contrôle étatique et de récentes découvertes sur la nocivité du diesel remettent en question la pertinence de ce projet.

En mars, le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi autorisant l’importation de voitures neuves fonctionnant au diesel vert répondant aux normes Euro 5 (les normes de pollution en vigueur aujourd’hui en Europe). Ce projet prévoit également pour les voitures de transport public une exemption à l’achat des droits de douane et des taxes d’enregistrement et de mécanique. Le texte n’a toutefois pas encore été voté par le Parlement.
Cette initiative s’inscrit dans un cadre plus large entamé par le ministère de l’Énergie de multiplier les sources de combustible pour les consommateurs libanais, afin de contrer la hausse des prix de l’essence. Les voitures au diesel reviennent en effet moins chères que celles roulant à l’essence, car les moteurs à diesel consomment moins de combustible, ce qui sur le long terme compense leur cherté relative à l’achat. À cela s’ajoute que le diesel est subventionné, contrairement à l’essence, et est donc moins cher pour le consommateur.
Pourtant, les producteurs de pétrole avancent que le diesel vert est plus cher à produire que l’essence : en enlevant les taxes sur l’essence, ou en arrêtant de subventionner le diesel, leurs prix seraient similaires.

Un manque de contrôle

Les concessionnaires sont assez circonspects vis-à-vis de ce projet. « Le problème du Liban c’est qu’il n’y a pas de contrôle étatique, explique Nabil Kettaneh, à la tête de Volkswagen, Audi et Skoda. Or, les moteurs à diesel ont besoin d’un contrôle et d’un entretien régulier, faute de quoi ils polluent beaucoup. »
La combustion du diesel produit en effet de très fines particules et des oxydes d’azote, très nocifs pour la santé. Des dispositifs tels que les filtres à particules et les pots catalytiques (qui ne sont efficaces que sous certaines conditions, telles que de longs trajets à une vitesse soutenue, rares au Liban), existent, mais ils ont besoin d’un entretien régulier (et souvent coûteux) pour pouvoir être efficace.
Or, sur le parc automobile libanais actuel de 1,3 million de voitures, plus de 500 000 ne passent pas la mécanique chaque année, et encore plus de voitures ne passent pas le contrôle technique. « Une fois la voiture neuve au diesel achetée et en l’absence de contrôle de police sur la route, rien n’empêchera son propriétaire d’enlever le filtre à particules et le pot catalytique afin d’augmenter le rendement du moteur et réduire l’entretien de la voiture ? Les taxis, bus et mini-vans remplaceront leurs moteurs à essence par de vieux moteurs au diesel et circuleront avec, ce qui est déjà le cas aujourd’hui ; cela favorisera un second marché », s’inquiète Sélim Saad, conseiller à l’Association des importateurs d’automobile (AIA). Même son de cloche chez Assaad Dagher Hayeck, à la tête de Peugeot, Kia, Citroën, Mitsubishi, Saab et Seat : « N’importe quel chauffeur pourra aller se ravitailler en diesel bon marché et polluant dans des coins reculés du pays, et tout le bénéfice environnemental du diesel sera annulé. »

Un problème de santé publique

L’utilisation du diesel a été fortement encouragée (via des subventions) en Europe ces dernières années, car sa combustion émet moins de dioxyde de carbone (CO2), responsable de l’effet de serre que celle de l’essence. Mais de récentes études montrent que les particules fines et les oxydes d’azote qu’elle dégage sont tout aussi nocifs, voire davantage pour la santé. En France, où le diesel représente 60 % du parc automobile et 80 % de la consommation de carburant, les particules fines émises par le diesel sont à l’origine de 42 000 morts prématurées par an, et le dioxyde d’azote, responsable de maladies respiratoires et cardio-vasculaires (selon l’AFP). En Europe, on estime à 380 000 le nombre de personnes qui meurent chaque année de la pollution de l’air liée au diesel, selon Autonews.fr. Et en juin de cette année, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le diesel comme cancérigène.
Ces récents développements, en partie survenus après la décision du Conseil des ministres d’autoriser l’importation de voitures au diesel, risquent de remettre cette dernière en cause.
D’autant plus qu’au Liban, où le taux d’asthmatiques est de 50 % supérieur à celui de l’Europe ou des États-Unis, la qualité de l’air laisse déjà fortement à désirer : une étude de l’AUB (Université américaine de Beyrouth) parue en juin dernier avait dénoncé la quantité de particules fines présentes dans l’atmosphère beyrouthine, en moyenne deux fois supérieure au taux acceptable fixé par l’OMS. Principale source d’émission de ces particules ? Le trafic routier.
En Europe, pour prendre en compte les dangers du diesel, une nouvelle norme, Euro 6, entrera en vigueur en 2014 : elle régule notamment les émissions d’oxydes d’azote. Pour être aux normes, chaque voiture diesel devra être pourvue d’un certain équipement coûteux (plus de 1 000 euros), ce qui devrait le réserver uniquement aux modèles supérieurs. Pour les petites voitures, les constructeurs commencent déjà à amorcer un retour vers l’essence. D’autant plus qu’une nouvelle norme de moteurs, plus puissants et plus petits, est en cours d’élaboration. « Chez Ford, un tout petit bloc essence de trois cylindres et de 1 000 cm3, équipé d’un turbo, permet ainsi de disposer de 125 CV et de ne consommer que 5 l/km », avance le blog Auto-Didacte de l’hebdomadaire français Marianne.
« Au Liban, il est impératif de commencer par développer un système de transports publics décent », souligne Sélim Saad. Le ministère de l’Énergie soutient par ailleurs un projet (controversé lui aussi) autorisant l’importation de voitures au gaz comprimé naturel, mais celui-ci est bloqué en commission depuis 2010.
 

Les hybrides commencent à intéresser les clients

Quelque 20 voitures hybrides ont été écoulées en trois mois chez Kia, qui se voit obligé de renouveler sa commande plus tôt que prévu. Les chiffres restent anecdotiques, mais témoignent d’un intérêt croissant du public libanais pour les voitures hybrides, moins polluantes et moins consommatrices d’essence. « Cela reste un public très petit et très ciblé », commente Assaad Dagher Hayek, à la tête du groupe Hayek Dagher (Kia, Peugeot, Citroën, Seat, Saab et Mitsubishi). Les hybrides coûtent plus cher que les voitures à essence. Dans les pays européens et américains, leur développement est encouragé par des taxes réduites, permettant de les rendre plus abordables. Ce qui n’est pas le cas au Liban, où elles subissent souvent des droits de douane de 50 % (car elles coûtent plus de 20 millions de livres, 13 267 dollars). Il faut également rajouter la TVA (10 %) et la taxe d’enregistrement. « Le Liban est un des pays où les voitures sont le plus fortement taxées », affirme Dagher Hayek, et ce malgré le manque d’alternative de transports publics.

 

Annulation du Salon de l’automobile
 
Programmé tous les deux ans, le Salon de l’automobile libanais était censé se tenir cette année en novembre. Mais les concessionnaires ont pris la décision de l’annuler, les contextes politique, sécuritaire et économique étant défavorables. « Ce n’est pas le bon moment pour faire un salon, estime Nabil Kettané, PDG du groupe du même nom (Volkswagen, Audi, Skoda), chaque stand coûte dans les 80 000 dollars sans compter les faux frais, le marché ne permet pas de soutenir ces coûts. » Mais tout le monde n’est pas d’accord : Nabil Bazerji (Suzuki, Lancia, Maserati, Maruti) estime que « c’est en période de crise qu’on organise des salons, pour soutenir le marché. Cela aurait donné un coup de pouce aux voitures de catégorie moyenne, qui souffrent cette année ».

 

 

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