La Banque centrale a adopté le 17 janvier (décision 6116) un plan de relance des crédits de 2 200 milliards de livres (1,46 milliard de dollars) pour soutenir la croissance. Entretien avec le gouverneur Riad Salamé qui en explique les motivations et le mécanisme.
Pour quelles raisons avez-vous décidé d’annoncer ce plan de relance des crédits ?En raison de la conjoncture dans la région, et en particulier en Syrie, l’économie libanaise va davantage dépendre de la demande interne que de la demande externe. Nous voulons stimuler cette demande interne en maintenant un rythme élevé de croissance des crédits.
Nous mettons une enveloppe de 2 200 milliards de livres à la disposition des banques à un taux de 1 % ; à charge pour elles de les prêter à un taux maximal de 6 %. Il s’agit d’un taux plafond car la concurrence devrait pousser les banques à proposer des taux moindres. Cette concurrence est encouragée par le principe du premier arrivé premier servi : l’allocation de crédit sera effectuée sur la base d’un crédit réellement octroyé et les banques encourent une pénalité de 15 % sur les montants qui ne sont pas effectivement prêtés à leurs clients.
Cette enveloppe sera essentiellement dédiée au financement de l’habitat. Une part de 15 % ira à des projets d’investissements, notamment ceux qui sont garantis par Kafalat, et une part de 16 % sera allouée à des crédits “verts”, sans oublier des crédits pour la recherche, le développement et les incubateurs, l’éducation et les microcrédits.
Il est étonnant de voir la Banque centrale décider d’un plan de relance de l’économie à la place du gouvernement…
Que voulez-vous, nous sommes au Liban ! Ce plan est mis en œuvre en vertu du code de la monnaie et du crédit qui autorise la Banque centrale à avancer des liquidités aux banques en échange de garanties, en l’occurrence les crédits subventionnés. Nous ne prenons pas les risques de ces prêts, car ce sont les banques qui se chargent du recouvrement. Ce plan est possible car nous bénéficions d’une solidité monétaire.
Ne craignez-vous pas un effet inflationniste ?
Une hausse de l’inflation est possible, mais c’est le seul risque. En contrepartie, nous pensons qu’il vaut mieux anticiper une éventuelle crise que de réagir a posteriori. Car les efforts à fournir après une détérioration de l’activité sont généralement plus importants et leurs résultats moins rapides.
Le risque inflationniste est en tout cas limité. S’il n’y a pas d’éléments externes, comme par exemple l’augmentation de la grille des salaires de la fonction publique, l’inflation sera inférieure à 4 % en 2013, ce qui correspond à notre objectif. En cas d’excès, la Banque centrale absorbera comme à son habitude les liquidités par l’émission de certificats de dépôts, l’acceptation de dépôts ou la cession de bons du Trésor de notre portefeuille.
Cela dit, ce plan de relance a certainement un coût pour la Banque centrale, mais nous considérons que la conjoncture rend cet effort nécessaire pour maintenir une croissance positive. Elle sera de 2 % en 2013 selon les prévisions du FMI. Ce plan devrait contribuer à 2 % de croissance additionnelle et à des créations d’emplois, même si nous n’avons pas les moyens de mesurer leur nombre. Si les prévisions du FMI se révèlent trop optimistes – cette année est une année électorale et on ne connaît pas l’évolution de la crise en Syrie et l’ampleur de l’impact futur sur le Liban –, cette contribution supplémentaire de 2 % aidera l’économie à passer un cap difficile. Il ne faut pas négliger le fait que le plan de relance confortera les débiteurs des banques, ce qui réduira le besoin de constituer de provisions.
Comment justifiez-vous la part prépondérante du plan alloué au secteur immobilier ? Ne va-t-il pas soutenir la hausse des prix déjà élevés ? Ces crédits ne devraient-ils pas être réservés aux résidents ?
En dehors du fait que l’acquisition de la résidence principale est un facteur socialement important, le développement du secteur immobilier a des effets d’entraînement sur plusieurs autres secteurs de l’économie libanaise, du vendeur de meubles à celui de produits électroménagers, en passant par les ingénieurs, les décorateurs ou les artisans… Nos études démontrent une corrélation élevée entre la croissance de ce secteur et celle de l’économie libanaise.
Ce plan ne devrait pas pousser les prix de l’immobilier à la hausse, mais plutôt les stabiliser car les crédits au logement sont plafonnés à 800 millions de livres (533 000 dollars) et réservés au financement d’une résidence principale. La majeure partie de ces crédits sera allouée aux achats dont le prix moyen est de 400 à 500 millions de livres (266 000 à 333 000 dollars).
Nous n’avons ni les moyens légaux ni pratiques de limiter ces crédits aux résidents libanais, d’autant que le statut de résident est compliqué à établir lorsque le mari travaille dans le Golfe ou en Afrique et que sa famille est établie ici par exemple. D’autre part, pourquoi faire cette différence sachant que les non-résidents contribuent aussi à l’économie, sinon les banques ne leur feraient pas crédit.
Comment percevez-vous l’impact du conflit syrien sur le Liban ?
Si certaines entreprises ou secteurs tirent profit de la situation à titre individuel, il est évident que les conséquences de ce conflit sont globalement négatives. La crise a certainement nui aux investissements au Liban. C’est un effet psychologique important. L’immobilier est l’un des secteurs où l’attentisme est de rigueur. Les nouveaux investissements sont rares et certains propriétaires cherchent à se dégager.
L’impact sur le transport est aussi majeur pour les exportateurs libanais pour qui la Syrie est la seule porte d’accès terrestre au hinterland arabe. Les prix du fret ont été affectés, de même que le mouvement des marchandises et des personnes.
Les banques ont également été affectées en raison de leur forte implantation en Syrie. Elles y ont diminué leurs encours de crédits de 60 % et ont dû constituer des provisions de 400 millions de dollars, ce qui a diminué leurs profits en 2012. Nous avons jugé que c’était nécessaire de le faire pour éviter les surprises. Il ne devrait pas y avoir de grand effort supplémentaire en 2013.
N’êtes-vous pas inquiet du creusement du déficit de la balance des paiements à 2 milliards de dollars ?
Le déficit de la balance des paiements est dû à celui de la balance commerciale. L’augmentation des importations a créé ce déficit. Mais il n’est pas inquiétant dans la mesure où il ne constitue pas un risque de déstabilisation. Preuve en est la croissance continue des dépôts. La confiance est demeurée intacte malgré la campagne de diffamation dont a été victime le Liban et dont la réputation des banques aurait pu pâtir. Aujourd’hui notre modèle bancaire plaît aux déposants. Il leur offre des revenus tout en protégeant leur épargne. La Banque centrale a toujours veillé pour cela à bien réglementer tous les aspects de l’activité bancaire : nous avons presque appliqué Bâle III avant qu’il n’existe.
Si la situation macroéconomique reste mauvaise, ne craignez-vous pas une pression à la hausse des taux d’intérêt pour tenir compte d’une prime de risque croissante ?
La confiance dont bénéficie notre système financier se traduit non seulement par une augmentation des dépôts, mais aussi par la baisse des taux d’intérêt. Celle-ci perdure, ce qui prouve qu’elle n’est pas un accident de parcours. Le marché secondaire montre que le marché est à l’aise avec le niveau actuel des taux. Même si le sentiment des marchés devait changer, ce que nous respectons, la hausse resterait marginale. Nous ne sommes plus à l’époque où tout pouvait basculer du jour au lendemain.
Le rythme de la croissance des dépôts est-il satisfaisant selon vous ? Quelle part est due à l’accumulation des intérêts et quelle part à une augmentation nette, notamment sous l’effet de capitaux venus de l’étranger ? Les capitaux syriens en particulier sont-ils entrés dans le système ?
Nous n’analysons pas la hausse des dépôts en termes d’intérêts et de capital. C’est un faux débat. L’important, c’est la masse de liquidités disponibles pour financer le secteur privé et le secteur public, ainsi que l’augmentation de cette masse, quelle qu’en soit l’origine. Il est normal que le pourcentage de la hausse soit plus faible, car la base sur laquelle il s’applique est en train de grandir. Au final, en termes réels la valeur de la hausse est la même.
Il n’y a pas eu de phénomène d’afflux de dépôts en provenance de la Syrie comme l’annonçaient certaines personnes. Cela tient au fait que les dépôts en devises dans les banques syriennes étaient en tout cas relativement faibles et que la livre syrienne n’est pas exportable sauf en liquide, à travers des changeurs.
“L’argent du régime”, comme l’ont appelé certains analystes, n’est jamais venu au Liban. Il n’y était pas même à l’époque de la présence militaire syrienne au Liban. Ce débat me rappelle l’époque où l’on prédisait que le retrait de l’armée syrienne en 2005 s’accompagnerait d’une forte baisse des dépôts dans notre système bancaire. Il n’y a rien eu de ce genre.
Êtes-vous inquiet de l’évolution des finances publiques ?
Notre position a toujours été la même : il faut un budget pour la transparence et la bonne gouvernance ; il faut des réformes. Mais la Banque centrale n’a pas voix au chapitre sur ce point.
Dans le contexte actuel, si le déficit public en pourcentage du PIB se stabilise en 2013, ce sera une bonne chose. Il y a un effort à faire pour éviter un accroissement trop important des dépenses en période électorale. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai mis en garde contre la revalorisation de la grille des salaires des fonctionnaires, non pas pour des raisons de fond, mais en raison de son mode de financement. La solution proposée initialement aurait eu un impact négatif sur la croissance de 2 à 3 % couplé à une hausse de 2 % de l’inflation et à une pression à la hausse sur les taux d’intérêt. J’ai proposé à la place un financement échelonné sur cinq ans à travers des impôts qui ne toucheraient pas à la croissance.




