Le Liban est devenu le premier pays d’accueil des réfugiés syriens fuyant les violences dans leur pays, dépassant la Turquie. Ils étaient 212 000 selon le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) daté du 20 janvier qui prévoit que le seuil des 300 000 sera franchi d’ici à juin. Ce nombre en augmentation constante depuis quelques mois est passé de 47 000 réfugiés inscrits auprès de l’ONU en août 2012 à 162 000 en décembre. Aussi importants soient-ils, en particulier si on les compare à ceux de la population libanaise, ces chiffres sont sous-estimés. Les Syriens établis sont en réalité bien plus nombreux – on compterait 800 000 Syriens au Liban selon un récent décompte de la Sûreté générale – du fait des facilités de séjour dont ils bénéficient au Liban. Parmi eux, une bonne partie de la bourgeoisie damascène et alépine qui s’est installée à Beyrouth, ou dans d’autres villes du pays. Il y a aussi les dizaines de milliers d’ouvriers syriens qui travaillent depuis des années au Liban et qui sont désormais autorisés à renouveler leur permis de séjour sans retourner en Syrie, et dont une partie ont fait venir leur famille. Mais aussi certaines familles qui, selon les témoignages de plusieurs associations, ont peur de voir leurs noms transmis aux autorités syriennes.
Ces craintes se dissipent avec le temps selon un rapport de l’Institut universitaire européen de Florence qui vient de publier une étude sur les réfugiés syriens au Liban au terme d’un an de recherches. La récente augmentation de réfugiés pourrait donc s’expliquer par l’enregistrement de nouveaux arrivants mais aussi par celui de familles ne souhaitant pas être recensées jusqu’ici mais contraintes de le faire en raison de l’épuisement de leurs ressources financières. L’enregistrement de toute la famille est en effet une condition de l’obtention de l’aide internationale.

Absence de camps

À la différence de la Turquie, de la Jordanie et de l’Irak, les réfugiés syriens vivent disséminés parmi les Libanais dans plus de 700 localités à travers le pays. Le Liban refuse en effet pour des raisons politiques la création de camps. À cela deux raisons : d’une part, l’expérience des camps palestiniens censés être provisoires qui se sont révélés permanents ; de l’autre, le risque d’être débordé par des activités politiques, voire militaires dans des regroupements sous forme de camps.
La majorité des réfugiés sont concentrés dans le Nord et dans la Békaa, même s’ils ont de plus en plus tendance à se déployer vers le Sud, leur nombre allant grandissant. Cette répartition géographique s’explique par la proximité des zones de migrations avec la frontière, mais elle varie aussi au gré des bombardements en Syrie. Début 2012, près de 2 000 réfugiés ont traversé la frontière en deux jours dans la région de Wadi Khaled à la suite d’intenses bombardements sur la ville de Homs. Dans la Békaa, les réfugiés sont arrivés courant 2012, quand les bombardements ont gagné Damas. Selon Madona Semaan, du HCR, la répartition géographique des réfugiés s’explique surtout par le fait qu’ils restent éloignés de Beyrouth et du Mont-Liban, et plus généralement de la côte libanaise, « à cause de la cherté de vie et du coût du logement ».
Contrairement à ce qui se passe dans les autres pays d’accueil, les réfugiés syriens doivent trouver un logement par leurs propres moyens. Ils sont soit accueillis par des familles libanaises, soit contraints de louer des chambres ou des appartements, voire des bouts de terrains pour y planter une tente. Des solutions privées qui ne sont toutefois pas soutenables selon le HCR et les associations internationales qui n’ont de cesse depuis des mois de réclamer à l’État libanais la généralisation de centres d’accueil collectifs, dans des bâtiments publics vacants ou sur des sites pour des préfabriqués (pour l’instant il n’y en a que 25 selon le HCR répartis dans le Akkar et la Békaa). Une solution écartée par le gouvernement, qui réfléchit dans le même temps à la mise en place de camps de transit en cas d’afflux massif de réfugiés où les arrivants seraient accueillis durant sept à dix jours, le temps de trouver une solution d’hébergement durable.
 
Le problème du logement

La grosse majorité des réfugiés présents sur le sol libanais est constituée de familles qui ont tout perdu dans des bombardements. Qu’ils appartiennent à la classe populaire ou moyenne en Syrie, arrivés au Liban ils doivent d’abord trouver un toit. Dans le Nord, la plupart des réfugiés en zone rurale sont hébergés chez des particuliers (90 % des cas selon le rapport de l’Institut universitaire européen), car les liens familiaux transfrontaliers sont forts. Dans la Békaa, d’où beaucoup de Libanais sont partis se réfugier en Syrie lors de la guerre de 2006, la population se fait aussi un devoir de rendre la pareille à ses anciens hôtes. Mais la générosité des Libanais ne suffit plus depuis plusieurs mois déjà. Selon un rapport du HCR, aujourd’hui 60 % des réfugiés louent leur logement contre 26 % accueillis dans des familles. Nombre de réfugiés démunis se retrouvent dans des situations délicates pour payer leur loyer. C’est notamment le cas dans le quartier d’al-Mina, appartenant au caza de Tripoli, où ils s’entassent dans des logements au confort rudimentaire, parfois dans une seule pièce à 250 dollars par mois. Ils racontent que les loyers ont augmenté depuis leur installation, sous l’effet de l’augmentation de la demande. Le HCR est donc de plus en plus contraint d’aider financièrement ces familles pour qu’elles puissent payer des loyers de plus en plus chers.
Le phénomène de hausse des loyers est le même à Beyrouth depuis l’arrivée de Syriens relativement aisés dans la capitale. Ces réfugiés se tournent vers la location de logements meublés et abandonnent peu à peu les hôtels, car la crise s’installe dans la durée, et la plupart ne savent pas quand ils vont pouvoir retourner chez eux. Walid Moussa, secrétaire général de l’association REAL (Real Estate Lebanon), a même constaté quelques transactions dans les quartiers riches de Beyrouth « même si ces ventes restent encore peu significatives », précise-t-il dans le rapport établi par l’Institut universitaire européen.
Les plus démunis s’installent dans des camps informels. Pour les associations humanitaires, ce sont les plus vulnérables car ils ne bénéficient pas de la solidarité communautaire et n’ont parfois pas les moyens de subvenir à leurs besoins vitaux. Dans la Békaa, l’association humanitaire MSF a vu les campements de bédouins s’agrandir systématiquement. « Mais ces populations peu habituées à la vie nomade n’ont pas de quoi aménager leurs tentes, faites de bric et de broc », témoigne Fran Miller, chef de mission de l’organisation.
Cette diversité de situations et le dispersement géographique compliquent la prise en charge des réfugiés déjà difficile en raison de l’absence de recensement systématique.

L’organisation de l’aide

La première mesure du plan d’aide aux réfugiés présenté par le gouvernement libanais lors d’une conférence des donateurs à Beyrouth le 3 décembre 2012 porte sur la mise en œuvre d’un tel recensement. Une priorité pour tenter de faire baisser le temps d’attente de deux à trois mois entre une demande d’enregistrement et sa prise en compte réelle. Il sera effectué en concertation avec le HCR chargé d’enregistrer les réfugiés.
Au total, le Liban a évalué à 364 millions les besoins de l’aide aux réfugiés syriens sur son territoire dont 180 millions de dollars pour son action propre et le reste pour celles des organisations internationales. L’État libanais a ventilé ce montant entre les différents ministères en charge du dossier (Affaires sociales, Santé, et Éducation) et le Haut Comité de secours chargé de distribuer l’aide aux familles de réfugiés libanais vivant en Syrie jusqu’au début du conflit et qui du fait de leur nationalité libanaise ne sont pas prises en charge par l’aide internationale. Mais pour le moment, le gouvernement ne peut communiquer de date précise concernant la mise en œuvre de ce plan. « Nous attendons les financements », explique Ramzi Naaman, représentant du Premier ministre sur ce dossier. Un appel aux dons a été lancé. Début janvier, l’ambassadrice des États-Unis au Liban Maura Connelly a annoncé que son pays dégagerait 210 millions de dollars pour l’aide aux réfugiés syriens à l’intérieur et dans les pays avoisinants, sans préciser combien seront destinés au Liban. De son côté, l’Union européenne a déclaré le 20 décembre qu’elle débloquera 21 millions supplémentaires à destination des réfugiés, en plus des 40 millions déjà distribués. Au total, selon Ramzi Naaman seulement 50 millions de dollars auraient été récoltés depuis l’appel aux donateurs. Ces derniers sont découragés par la mauvaise réputation du Liban concernant la redistribution des dons. « Nous leur disons qu’ils peuvent donner directement aux organisations internationales si de tels doutes freinent leur volonté de nous aider », répond le représentant du gouvernement.
Même s’il n’est pas mis en œuvre concrètement – au terme d’une discussion de six heures en Conseil des ministres, seulement quelques décisions ont été adoptées comme celle de demander aux pays arabes d’aider le Liban financièrement –, les acteurs mobilisés autour de l’aide aux réfugiés saluent l’adoption de ce plan qui permettra a minima de mieux harmoniser les actions des uns et des autres. Il met en place une commission interministérielle présidée par le Premier ministre. Le HCR, premier interlocuteur du gouvernement, fera le lien avec la quarantaine d’associations impliquées dans la prise en charge des réfugiés, selon Robert Watkins, le coordinateur spécial de l’ONU au Liban. Sans compter les organisations religieuses impliquées, elles aussi, dans l’aide aux réfugiés.
L’objectif est d’une part de pallier l’absence d’aide dans certaines zones géographiques – comme le Sud où les réfugiés s’installent de plus en plus pour trouver un logement – ou dans certains domaines comme la santé avec l’hospitalisation des cas les plus graves.

Un défi politique

Plus de 22 mois après le début du conflit syrien, l’urgence est là. Car la réalisation de ce plan d’aide aux réfugiés n’a pas été de tout repos. « Certains politiques pensaient qu’accepter les réfugiés reviendrait à se positionner contre le régime de Damas », explique Ramzi Naaman. Résultat, le problème des réfugiés a été dans un premier temps occulté, et la prise de conscience du gouvernement intervient alors que les réfugiés sont de plus en plus nombreux.
Le débat interne persiste malgré la présentation du plan aux pays donateurs. Le 5 janvier, le ministre de l’Énergie Gebran Bassil, membre du Courant patriotique libre (CPL) appartenant à la coalition gouvernementale, critiquait la gestion par le Liban de ce dossier. « Nous devons apprendre de nos expériences passées avec les Palestiniens, nous devons étudier les conséquences de l’installation des Palestiniens au Liban », a-t-il expliqué. Son courant soutient que le Liban n’a pas les moyens financiers ni les infrastructures nécessaires pour accueillir de nouveaux réfugiés. Il craint que leur séjour ne se prolonge, comme celui du demi-million de Palestiniens, qui dure depuis soixante-quatre ans. Une installation qui risquerait, selon ce parti, d’affecter la démographie au profit des musulmans.
L’usage officiel du mot “déplacés” au lieu de “réfugiés” reflète plus globalement l’hypersensibilité de ce sujet au Liban qui est non seulement marqué par la problématique inextricable des réfugiés palestiniens, mais aussi très divisée sur l’attitude à tenir face à la crise syrienne depuis le début du conflit. Gouvernement comme opposition se retrouvent pris dans leur positionnement à l’égard du régime de Damas. Le 8 Mars, traditionnellement allié de la Syrie, est aujourd’hui divisé entre les partisans d’une aide aux réfugiés et ceux qui souhaitent stopper l’afflux. Face à cette division, le ministre des Affaires sociales et le Premier ministre appellent désormais à apporter une réponse strictement humanitaire, n’entamant pas l’attitude de neutralité adoptée depuis le début de l’année 2012 par l’État libanais face au gouvernement syrien.

Un poids social et sanitaire

Une réponse humanitaire que le Liban ne peut plus retarder sous peine de subir le contrecoup d’une crise sociale potentiellement explosive. Déjà affecté économiquement par les conséquences de la guerre en Syrie – la croissance du PIB est tombée à 2 % seulement en 2012 selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI) –, le pays a d’autant plus de mal à absorber le choc d’une augmentation de sa population qui atteint près de 5 %, que les réfugiés sont concentrés dans les zones les plus pauvres et les plus exposées au chômage.
Dans le Akkar, par exemple une région où 73 % de la population vit avec moins de 107 dollars par mois (contre 39 % dans tout le pays selon une étude de l’association Mada), l’arrivée de réfugiés démunis augmente considérablement la population inactive de la région (estimée à 34 % selon l’association Mada). À l’échelle du pays, selon une analyse de Sami Atallah pour le Lebanese Center for Policies Studies (LCPS), le secteur de l’emploi est touché : « Le flux de réfugiés syriens est une menace sérieuse sur les emplois des salariés libanais peu ou non qualifiés. »
Avec l’hiver, le problème devient également sanitaire. Médecins sans frontières note une augmentation des affections dermatologiques comme la gale, ou les poux et des affections respiratoires. Des maladies qui se développent du fait des mauvaises conditions de vie. « Certains en sont réduits à se chauffer en brûlant les ordures », explique Fran Miller, chef de mission de MSF. Lors de distributions occasionnelles de nourritures, l’organisation a également été témoin des premiers signes d’exaspération du côté de la population libanaise, elle aussi dans le besoin, attaques physiques à l’encontre des réfugiés, jets de pierres sur les fenêtres : « Nous arrivons à un point de rupture où les populations locales dans la misère réclament elles aussi de l’aide. »

Comment les réfugiés sont-ils enregistrés ?

Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) est responsable de l’enregistrement des réfugiés syriens. Cet enregistrement conditionne l’accès à l’aide distribuée par les organismes en lien avec l’agence onusienne.
Quatre bureaux sont installés à Beyrouth, Tripoli, Zahlé et Saïda. Un autre sera prochainement ouvert à Tyr pour accompagner les déplacements des populations qui se dirigent de plus en plus vers le sud du pays pour trouver un logement.
Une famille souhaitant s’inscrire doit d’abord prendre rendez-vous, soit en se rendant dans un bureau, soit en téléphonant, soit en remplissant l’un des formulaires laissés dans certains lieux publics dans tout le Liban par le HCR. Les lignes téléphoniques de l’organisation étant régulièrement saturées, cette dernière a décidé de généraliser la distribution de ces formulaires dans les municipalités mais aussi dans des épiceries fréquentées.
La demande est ajoutée sur la liste d’attente. À la mi-janvier, le HCR évaluait le nombre de réfugiés sur le sol libanais à 212 000, dont 60 000 sont en fait en attente d’enregistrement.
Le jour du rendez-vous fixé, toute la famille doit se déplacer. Car l’enregistrement donne accès à l’assistance du HCR et de ses partenaires : « Les déplacés doivent prouver qu’ils sont là depuis peu de temps ; nous ne voulons pas être submergés par les demandes de personnes qui ne sont pas devenues des réfugiées à cause de la crise syrienne », explique Dana Sleiman, chargée de la communication du HCR. Si certaines familles sont dans des situations de demande d’aide urgente, notamment médicale, le HCR fait des exceptions à ce système d’enregistrement.