Un article du Dossier

En pleine croissance, le port de Beyrouth s’agrandit

Le port de Beyrouth sert de plate-forme de transbordement pour les grands porte-conteneurs des armateurs MSC et CMA CGM. Initiée en 2005, cette activité représente désormais près de 40 % de l’activité du terminal à conteneurs. Les deux compagnies espèrent augmenter leurs volumes une fois l’extension du port terminée.

Vincent Sannier
Chaque semaine, d’énormes porte-conteneurs venus d’Asie ou d’Europe font escale au port de Beyrouth. Ils y déchargent une partie de leur marchandise qui est ensuite réacheminée dans d’autres ports de la région sur les bateaux plus petits (Syrie, Égypte, Turquie, etc.). Cette activité dite de transbordement génère un trafic supplémentaire considérable pour le port : en 2012, le volume des conteneurs transbordés représentait 406 787 EVP, soit près de 40 % de l’activité conteneurisée totale du port ; le reste des conteneurs étant destiné directement au marché libanais. « Beyrouth est devenue un hub pour le transbordement à partir de 2007-2008 », explique Ammar Kanaan, le directeur général de BCTC, la société qui exploite le terminal à conteneurs. Selon les estimations du cabinet d’études Drewry pour 2012, le port de Beyrouth est le 11e port de transbordement dans l’espace méditerranéen.

Du transit au transbordement

« Historiquement, le port de Beyrouth était un port de transit très important, raconte Fouad Bawarshi, vice-directeur général de Gezairi Transports, un groupe de transport et de logistique libanais fondé en 1945 et présent dans plusieurs pays de la région. Les marchandises arrivaient par la mer pour être acheminées vers l’Irak ou l’Arabie saoudite. Mais avec le développement des ports des pays du Golfe et la dégradation de la situation sécuritaire en Irak, ce trafic lié au transit a chuté. Il était nécessaire de le compenser par autre chose. La seule solution était de développer l’activité de transbordement. »
Ce développement a été rendu possible par la mise en place en 2005 d’un terminal à conteneurs moderne au quai n° 16 du port de Beyrouth. Il peut accueillir la plupart des grands porte-conteneurs du monde grâce à un tirant d’eau de 15,5 mètres, une longueur de quai de 600 mètres, six grandes grues de quai et un espace de stockage de 244 000 m2. « Une fois le terminal opérationnel en 2005, les grandes compagnies ont commencé à s’intéresser à nous, précise Hassan Kraytem, le directeur du port de Beyrouth. À l’époque, il y avait des grèves au port du Pyrée, en Grèce. La grande compagnie MSC (Mediterranean Shipping Company) qui opérait là-bas voulait trouver un autre point de chute en Méditerranée. Nous étions au bon endroit, au bon moment : nous avons négocié avec eux et nous avons signé un premier contrat pour faire du transbordement à Beyrouth. »
Le groupe suisse, deuxième plus grand armateur de porte-conteneurs au monde, s’engage alors à faire transborder au minimum de 175 000 EVP par an (en dessous de cette quantité, la compagnie ne bénéficie plus de frais portuaires préférentiels pour accoster au port). CMA CGM lui emboîte le pas en 2006. La compagnie dirigée par le Franco-Libanais Jacques Saadé signe un contrat pour un minimum de 110 000 conteneurs par an. Les négociations ont duré plusieurs mois avec le port et l’exploitant du terminal. Principal objet des discussions : CMA CGM ne voulait pas être contrainte de faire patienter au large ses gros navires qui arriveraient en même temps que ceux de MSC. Cette attente aurait entraîné un renchérissement important du coût du transport (jusqu’à 50 000 dollars par jour). Finalement, un emploi du temps précis a été mis en place entre les deux compagnies. Chacune bénéficie d’une période de 3,5 jours par semaine (appelée “fenêtre”) durant laquelle ses bateaux ont la priorité. CMA CGM est prioritaire du dimanche soir au jeudi matin et MSC le reste du temps. Le port de Beyrouth applique aux deux compagnies une tarification spéciale pour les opérations de transbordement, négociée avec chacune d’entre elles et tenues confidentielles.
CMA CGM a mis en place deux grandes lignes maritimes pour des porte-conteneurs de plus de 300 mètres : l’une relie l’Extrême-Orient au nord de l’Europe, l’autre fait le trajet inverse mais en partant de la mer Adriatique. De son côté, MSC a également installé deux grandes lignes hebdomadaires, l’une relie la Chine à Beyrouth (en passant par Djeddah en Arabie saoudite), l’autre le nord de l’Europe à Beyrouth.

D’autres compagnies intéressées

Le développement du transbordement à partir de 2005 explique en grande partie le boom de l’activité conteneurisée du port de Beyrouth, qui a notamment doublé entre 2005 et 2007. Mais ces dernières années, le manque de place et la croissance des importations à destination du marché libanais ont obligé les autorités portuaires à limiter l’arrivée de conteneurs destinés au transbordement. C’est la raison pour laquelle la quantité de marchandises transbordées reste à un niveau à peu près stable ces dernières années, après avoir crû très rapidement au début de l’exploitation du terminal en atteignant un pic de 503 000 conteneurs transbordés en 2007.
MSC et CMA CGM attendent maintenant la fin de l’extension et la mise en route du nouveau terminal à conteneurs pour augmenter leur activité de transbordement. CMA CGM négocie avec les autorités portuaires pour faire venir davantage de navires. Les tractations portent en particulier sur la “fenêtre” d’accostage. « Si nous obtenons de nouvelles facilités pour accoster, nous augmenterons nos volumes », annonce Bernard Gerdy, le directeur général de CMA CGM au Liban. Le groupe MSC (qui n’a pas souhaité répondre au Commerce du Levant) est également « prêt à augmenter » ses opérations de transbordement à Beyrouth, indique Maroun Abi Aad qui s’occupe au port de Beyrouth des relations entre le port et ces deux compagnies.
Le terminal à conteneurs, une fois agrandi, offrira la possibilité d’accueillir en même temps deux grands porte-conteneurs de 350 mètres de long, au lieu d’un seul jusqu’ici. L’extension du port pourrait donc ouvrir la voie à une augmentation des opérations de transbordement. Toutefois, la direction du port ne sait pas encore si elle pourra accueillir plus de conteneurs en transbordement. « Nous donnons la priorité aux marchandises destinées au marché libanais car nous sommes le port de Beyrouth, nous sommes au service du Liban, souligne Hassan Kraytem. Le transbordement, c’est la cerise sur le gâteau ! » Or, le port accueille actuellement de plus en plus de conteneurs (à la fois pour le marché libanais et pour l’exportation vers la Syrie), ce qui amène la direction à revoir ses calculs. « Nous ferons davantage de transbordement uniquement s’il nous reste de la place. Pour le moment, ce n’est pas gagné d’avance », annonce Hassan Kraytem.
Selon plusieurs sources, au moins deux autres armateurs auraient manifesté leur intérêt pour faire du transbordement au port. S’il parvient à libérer de la place pour le transbordement, Beyrouth pourrait tirer profit de l’instabilité régionale. Hassan Jaroudi, président du Syndicat des agents maritimes du port de Beyrouth, assure qu’« avec les problèmes actuels, il y aura davantage de demandes pour le transbordement à Beyrouth. Les ports égyptiens ne travaillent plus d’une façon régulière à cause des grèves à répétition. Des compagnies maritimes sont en train de réfléchir à dévier une partie de leur trafic des ports égyptiens au port de Beyrouth ».

Compétition régionale

« Il faut souligner que l’activité de transbordement est très volatile, explique Maroun Abi Aad. Comme la marchandise transbordée n’est pas destinée au marché local du port où elle est déchargée, une compagnie peut décider d’un coup d’aller travailler ailleurs. » Les ports qui font du transbordement sont donc en compétition pour offrir le meilleur service aux armateurs internationaux. « Une compagnie maritime fait son choix en fonction de trois critères, poursuit Maroun Abi Aad : la modernité des infrastructures du port, le coût de la prise en charge des conteneurs par l’exploitant du terminal (déchargement, stockage, chargement) et la rapidité d’exécution de ces opérations. Au port de Beyrouth, la productivité de l’opérateur BCTC est de 25 mouvements de conteneur par heure et par machine. C’est une bonne moyenne. Avant la mise en place du terminal, avec les anciennes grues, la productivité tournait entre 15 et 20. » « BCTC est de plus en plus performant », confirme Bernard Gerdy. Les efforts sur la productivité du terminal ont permis à Beyrouth de concurrencer les autres ports de transbordement de la Méditerranée orientale, notamment égyptiens.



« Le transbordement a créé entre 2 000 et 3 000 emplois au Liban »

Ammar Kanaan, directeur général de BCTC (Beirut Container Terminal Consortium), le groupe en charge du fonctionnement du terminal de conteneurs du port de Beyrouth.

Comment le port de Beyrouth a-t-il réussi à s’imposer sur le trajet des grands porte-conteneurs qui font du transbordement en mer Méditerranée 

C’était un grand défi de vouloir développer l’activité de transbordement au port. Géographiquement, Beyrouth ne figure pas sur les principales routes maritimes qui relient l’Asie du Sud-Est à l’Europe, comme le sont Port-Saïd en Égypte, Malte ou Djeddah en Arabie saoudite. Pour faire escale à Beyrouth, il faut faire un détour. Si vous venez de Chine et vous allez en Europe, vous devez compter un jour en plus pour aller jusqu’à Beyrouth et un autre pour repartir. Cela coûte cher à l’armateur. Mais nous avons réussi à attirer de grandes compagnies (MSC et CMA CGM), parce que nous avons équipé le terminal à conteneurs du port avec du matériel très moderne et parce que nous sommes reconnus pour notre productivité dans les opérations de chargement et de déchargement des navires. Cela compense le coût du détour.

Quel est l’impact de l’activité de transbordement sur l’économie libanaise ?

C’est une activité bénéfique pour beaucoup d’acteurs. Premièrement, les importateurs libanais sont gagnants. Auparavant, il fallait trois ou quatre semaines pour importer un conteneur de Shanghai, parce que ce conteneur était transbordé par exemple à Singapour puis à Djeddah et arrivait finalement à Beyrouth dans un petit bateau. Le coût de l’importation était important en raison du coût de ces transbordements. Désormais, le conteneur arrive directement à Beyrouth sur un grand cargo en une quinzaine de jours. Le coût de l’importation a donc diminué. C’est la même chose pour les exportateurs : les grandes compagnies maritimes ont augmenté la fréquence de leurs navires et ont proposé des services plus rapides. Il y a désormais des bateaux qui relient directement Beyrouth au nord de l’Europe tous les jours. Cela permet aux exportateurs d’être plus compétitifs. Enfin l’autre avantage, c’est la rentrée d’argent supplémentaire que cela représente pour le gouvernement libanais.

En matière d’emploi, les retombées de cette activité sont-elles chiffrables ?

Le Beirut Container Terminal Consortium emploie 400 personnes à Beyrouth. Avec l’extension du port, nous allons encore recruter. Nous mettons un point d’honneur à embaucher uniquement des Libanais, tous déclarés à la CNSS (Caisse nationale de Sécurité sociale). Nous sommes peut-être les seuls à le faire au Moyen-Orient. Cela nous coûte beaucoup d’argent pour les former, mais c’est notre stratégie. Quand vous employez des étrangers dans un port, leur engagement n’est pas le même.
Les “locaux”, eux, agissent comme si c’était “leur” port et attachent plus d’importance à leur travail. Cela se répercute sur la productivité. Au total, j’estime que l’activité de transbordement a créé entre 2 000 et 3 000 emplois directs ou indirects au Liban. Connaissez-vous un autre secteur de l’économie qui a fait mieux ces dernières années ?


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