Un article du Dossier

Financement participatif : une nouvelle solution pour les start-up de la zone Mena

Après avoir conquis l’Amérique du Nord et séduit de plus en plus d’Européens, le “crowdfunding”, ou financement participatif, s’empare du Moyen-Orient. L’arrivée de nouvelles plates-formes dans la région offre des alternatives aux artistes et aux entrepreneurs de la région pour collecter les fonds qu’ils peinent à trouver dans la sphère financière.

Qui, au Liban, n’a pas entendu parler d’Instabeat, un accessoire qui vise à révolutionner le quotidien des nageurs en leur fournissant en temps réel les données indispensables à leur entraînement ? Une success-story d’autant plus intrigante qu’à ce jour, aucun de ces appareils n’a encore été vendu. Car au-delà de l’innovation technologique, c’est l’histoire de son financement, avec plus de 70 000 dollars de dons recueillis en moins de deux mois sur la Toile pour son lancement, qui fascine. Une paille à côté des 14 millions de dollars récoltés par “Star Citizen” – un jeu vidéo en ligne – sur le site américain Kickstarter, mais un symbole des possibilités offertes par le “crowdfunding” pour financer des projets innovants.
Inspiré des collectes de dons pour les projets humanitaires, voire du mécénat artistique, le concept du financement participatif s’est développé à grande vitesse dans le champ culturel – comme un moyen de produire un film par exemple – avant de bouleverser la donne depuis peu dans le financement des entreprises. Le principe est simple : le porteur d’un projet en quête de fonds présente son idée sur une plate-forme de collecte en ligne, y chiffre ses besoins et tente de convaincre la communauté inscrite sur le site de lui donner un coup de pouce. Si le montant est atteint, généralement dans un temps imparti à l’avance, le projet est lancé ; dans le cas contraire, les souscripteurs récupèrent leur mise.

Recherche fonds désespérément

Une aubaine pour des entrepreneurs de plus en plus à la peine pour trouver des prêts auprès des banques ou pour convaincre des investisseurs de placer des billes dans leur activité : aux États-Unis par exemple, plus de neuf projets sur dix présentés aux investisseurs en capital-risque seraient rejetés selon plusieurs acteurs du secteur. Et ce problème de financement est encore plus criant dans la zone Mena : « Le Moyen-Orient regorge de liquidités, mais elles sont placées dans des bons du Trésor américains ou des palaces européens plutôt que d’être investies dans des PME qui comptent déjà pour plus de 60 % de l’emploi dans la région et constituent indiscutablement le vivier des embauches à venir », se désole l’ancien ministre libanais Nasser Saïdi, ancien économiste en chef du Centre de finance internationale de Dubaï (DIFC) et actionnaire d’Eureeca, une nouvelle plate-forme de financement participatif dans la région. De fait, seulement 8 % des crédits bancaires de la région sont destinés aux PME et seule une sur cinq parvient à obtenir un prêt bancaire, selon la Banque mondiale. Quant aux investisseurs en capital-risque, « ils tendent de plus en plus à privilégier les projets d’acteurs déjà reconnus ou financièrement solides et offrant des perspectives rapides de retour sur investissement. Ce n’est pas un bon moyen de favoriser la créativité et l’innovation… », juge Abdallah Absi, un jeune entrepreneur libanais qui a lui aussi lancé sa plate-forme de financement participatif, Zoomaal, après que toutes ses initiatives précédentes pour fonder une start-up technologique aient fait chou blanc.
Eureeca et Zoomaal constituent, avec Aflamnah créée un an plus tôt, les seules plates-formes régionales de financement participatif. Toutes misent sur un essor rapide du secteur, semblable à celui qui prévaut des deux côtés de l’Atlantique depuis quelques années. En près d’une décennie, le nombre de plates-formes de ce type a proliféré – entre 400 et 500 selon les sources – et les flux financiers qu’elles ont attirés a augmenté de façon exponentielle : selon le cabinet américain Massolution, ce système a permis de récolter 2,7 milliards de dollars dans le monde en 2012, soit 81 % de plus que l’année précédente, et devrait peser plus de 5 milliards de dollars en 2013.

Une grande variété de solutions

Ce succès ne s’explique pas seulement par les difficultés de financement des start-up et des PME. Il tient aussi aux nombreux avantages qu’offre le financement participatif en termes de relation avec la clientèle ou d’impact marketing ainsi qu’à l’étendue des possibilités qu’offrent les différents sites aux financiers comme aux récipiendaires. On peut ainsi distinguer trois grandes catégories de plates-formes selon le type de financement sur lesquelles elles reposent : don, prêt ou prise de participation. Le modèle le plus répandu repose sur les donations, pas tout à fait gracieuses, car récompensées par des contreparties en nature (t-shirt, participation exclusive à un événement, inscription sur une liste de remerciements…). Le leader du financement participatif, Kickstarter ou le nouveau Zoomaal, appartient à cette catégorie. D’autres reposent sur un financement par microcrédits pouvant éventuellement être assortis d’intérêts (“crowdlending”) : les modalités de remboursement des fonds sont précisées par le récipiendaire. C’est le type de financement qui a connu la plus forte croissance en 2012 (+111 %) mais le modèle n’a pas encore été importé en zone Mena. L’investissement participatif (“crowdinvesting”) constitue enfin une variante plus sophistiquée, puisque l’apport de fonds correspond à une entrée au capital de la société financée et donne lieu à la délivrance de titres de participations. « Le recours au “crowdinvesting” peut-être considéré par une société comme une étape intermédiaire entre l’entrée d’un “business angel” à son capital et une entrée en Bourse. Ce type de financement la prépare notamment à traiter avec un grand nombre d’actionnaires et l’astreint à une obligation de transparence », observe Nasser Saïdi. Compte tenu de ces spécificités, le nombre de plates-formes est bien plus limité. Il en existe une dizaine au niveau mondial, dont les sites earlyshares.com ou eureeca.com, pionnier dans la zone Mena.

Protection des investisseurs

L’engouement actuel pour le financement participatif, la volonté de ses acteurs d’en faire une véritable source de financement pour les entreprises et la variété des modèles poussent les différents pays concernés à s’interroger sur la mise en place d’un cadre juridique spécifique, en particulier en ce qui concerne les prêts et les investissements en actions. L’équation est complexe, car il faut pouvoir rassurer les apporteurs de fonds, en leur garantissant une protection suffisante, tout en tenant compte des particularités et de la souplesse nécessaire au développement de ce modèle. Aux États-Unis, le président Obama avait fait de l’investissement participatif l’une des pierres angulaires de sa loi “Jobs” (“Jumpstart Our Business Start-up Act”), promulguée en avril 2012 pour alléger les restrictions de financement des petites entreprises. Mais ces dispositions demeurent pour l’instant à l’état de promesses dans la mesure où la Sec, le régulateur étatsunien des marchés financiers, n’a pas encore émis le corpus de règles découlant de la loi. Les discussions vont également bon train au sein de l’Union européenne où de nombreux acteurs du financement participatif pressent les autorités de suivre l’exemple des États-Unis. En attendant, c’est donc paradoxalement le Liban qui a adopté le premier cadre juridique spécifique au financement participatif (voir encadré), en partie du fait de l’influence de Nasser Saïdi, ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban. Un cadre qui pourrait faire du Liban l’un des centres névralgiques du financement participatif de la région, d’autant que les deux nouvelles plates-formes de la zone opèrent, ou sont destinées à le faire, depuis Beyrouth.

Le Liban pionnier sur la régulation de l’investissement participatif

La circulaire émise le 11 juin 2013 par l’Autorité des marchés financiers (AMF) fixe un certain nombre de règles encadrant la mise en œuvre d’appels de fonds à travers une plate-forme en ligne d’investissement participatif. Elle impose tout d’abord une licence préalable à l’ouverture d’une plate-forme et limite notamment cette possibilité à des sociétés ou des filiales entièrement dédiées à cette activité et disposant d’un capital d’au moins un milliard de livres libanaises. L’appel de fonds doit être de 20 000 dollars minimum et porter sur une période maximale de 180 jours, tandis que les prises de participation doivent osciller entre 500 et 10 000 dollars maximum.

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