Zakhia Daccache exploite sept serres dans la région de Byblos. Reconnu pour la qualité de ses légumes et de ses fruits, cet agriculteur dénonce les conditions de développement d’une filière, en mal d’appuis.

Zakhia Daccache a un caractère bien trempé, qu’il a aguerri à force d’arpenter ses serres ou son verger, toujours inquiet pour ses récoltes. Pourtant, son exploitation est un beau succès : l’homme cultive 4 hectares dans la région de Byblos et du Akkar, qu’il loue pour la majeure partie d’entre eux. Il est spécialisé dans la culture de légumes sous serre et la production de fruits. Dans ses sept serres, il produit en moyenne 12 tonnes à l’hectare (l’été) et 8 tonnes à l’hectare (hiver) de tomates et de concombre. « Selon les saisons, on cultive aussi du persil, des aubergines, des abricots… » Difficile de fournir des données plus précises : « Une serre, c’est 8 000 dollars pour l’installation et 4 000 dollars, chauffage non inclus, d’entretien annuel. Mais l’investissement est sur le long terme : ces abris ont en général une durée de vie de plus de 20 ans. » S’il connaît son investissement, Zakhia Daccache dit ne pas pouvoir fournir de revenus plus précis : « Une récolte peut se perdre du jour au lendemain et mon gain disparaître. »
Malgré cela, dans un secteur où l’absence de règles ou de contrôles donne lieu aux plus folles rumeurs, Zakhia Daccache a su gagner la reconnaissance de ses pairs. « C’est quelqu’un qui fait bien son métier. C’est désormais assez rare pour être noté », avance l’un d’entre eux. Produire sous serre n’est guère compliqué. En revanche, cela exige l’emploi de produits chimiques, qui, mal employés, se révèlent toxiques pour l’homme. « J’évite l’emploi d’intrants. J’ai trop vu d’aberrations. Dernière en date : un colorant, normalement interdit pour la consommation alimentaire, qui rend “plus rouges”, donc “plus attractives”, les tomates. Même si vous les lavez, le produit demeure. »
Zakhia Daccache n’a pas la langue dans sa poche pour dénoncer les dérives de l’agriculture. Une manière pour lui de la défendre bec et ongles : « L’agriculture au Liban ? Qu’en espérer quand ce secteur doit jongler avec un manque de financement criant, lui qui reçoit moins de 1 % du budget national ? »
Les subventions, voilà son cheval de bataille : « Je consacre davantage de terre aux vergers qu’aux serres désormais. Les légumes, produits sous serre, en provenance de Syrie ou de Jordanie, inondent le marché libanais et cassent les prix. Nous sommes 30 à 40 % plus cher à qualité égale. » Pourtant, au début, dans les années 1970, lorsqu’il s’est lancé, les serres représentaient une technique de pointe dans la région « avec un fort bénéfice ». Depuis lors, elles se sont banalisées dans les pays voisins, ont été plantées sur d’immenses échelles et profitent, en plus, de subventions étatiques. « Nous, nos seules “subventions” sont une “aide en nature”, des traitements phytosanitaires la plupart du temps obsolètes, de piètre qualité ou inappropriés. »
Autre point faible que Zakhia Daccache dénonce : le réseau de distribution. « Nous vendons aux marchés de gros », des structures incapables de proposer un tri qualitatif. La preuve ? L’an passé, avec d’autres agriculteurs de Byblos, Zakhia Daccache a produit des légumes et des fruits bio sous serre. « On a pollinisé par exemple grâce à des abeilles spécialement introduites dans les serres à cet effet. Cela a été une vraie réussite, mais nous n’avons pas trouvé de débouchés. » L’Europe se serait montrée intéressée, mais faute d’un agrément spécifique, cette production bio a fini au marché de gros local, mélangée aux productions lambdas. Recommenceront-ils ? Zakhia Daccache n’a pas le profil d’un homme qui renonce.

La filière selon le Creal
Cultures sous serre : une agriculture industrielle

Le Liban bénéficie de quatre saisons marquées et de climats différents du fait de l’altitude, ce qui lui offre une variété impressionnante de cultures. À partir de 1963, ce sont aussi développées les cultures sous serre. Aujourd’hui, selon les chiffres du Creal, publiés dans Le Commerce du Levant, en septembre dernier, elles représentent 107,3 millions de dollars en 2012, en hausse de
32 % par rapport à 2011. Ce qui les place presque à égalité avec la production de légumes de plein champ (121,4 millions de dollars en 2012). La culture sous abri permet de mieux contrôler les conditions de production et d’obtenir de meilleurs rendements tout au long de l’année. Elles peuvent, comme ici, concerner les cultures maraîchères, mais aussi certains arbres fruitiers ou l’horticulture. Mais les pratiques culturales associées ne garantissent pas toujours la sûreté alimentaire, en particulier en ce qui concerne la mauvaise utilisation d’intrants (engrais, pesticides, hormones) qui peuvent nuire à la santé humaine.