Un article du Dossier

Les Libanais de Côte d’Ivoire tiennent 40 % de l’économie

Samih et Hassan Hyjazi ont fondé en 1981 le groupe éponyme, qui emploie 4 000 salariés dans 13 sociétés indépendantes. Du petit commerce à la distribution, en passant par l’industrie, les deux frères figurent parmi les grandes réussites de Côte d’Ivoire.

Nabil Zorkot
Dans quelques mois, Hassan et Samih Hyjazi ouvriront un centre commercial à Conakry (Guinée Conakry) de 13 300 m2. Pour eux, l’arrivée du groupe Hyjazi à Conakry est un peu un retour aux sources : « Nous sommes la troisième génération d’Africains », s’amuse Hassan Hyjazi, dont la famille, à l’origine, venait de Tyr. « Mon aïeul vivait à Boffa en Guinée, ancien port de négoce, dans l’Afrique occidentale française. C’est là que mes parents sont nés. Nous sommes venus en Côte d’Ivoire en 1964, quand la Guinée s’est enfermée dans une dictature terrible », explique Hassan Hyjazi.
L’homme est désormais milliardaire : avec son frère, Samih Hyjazi, il a fondé en 1981 le groupe éponyme. Avec 4 000 employés, 13 sociétés indépendantes, Hyjazi est présent dans quatre à cinq secteurs-clés : depuis la distribution de biens importés jusqu’à l’immobilier, en passant par l’industrie.
Leur histoire est une histoire comme Hollywood les aime. On imagine déjà le titre : un genre “America, America”, le film d’Élias Kazan, qui dresse le portrait d’un jeune Anatolien, animé du désir d’atteindre la terre de ses rêves. Ici ce serait alors “Africa, Africa”, une épopée qui relaterait, cette fois, le destin de ces fils du Liban partis à la conquête d’un nouveau Far West, l’Afrique de l’Ouest.
« On a commencé de zéro : mes frères et moi copions le modèle colonial : on ouvrait des comptoirs à partir desquels on distribuait nos marchandises. Il fallait être honnête et travailler dur, mais pour qui avait ces qualités-là, l’Afrique offrait de réelles opportunités. Petit à petit, on est devenu incontournable dans les quartiers d’Abidjan. » À l’époque, au début des années 1970, les Hyjazi détiennent quatre épiceries.
Ce qui va changer leur orientation ? Une relation, qui leur lance un défi : pourquoi ne pas se lancer dans la fabrication ? Ils décident de produire des produits d’entretiens pour la maison et de la peinture. « On a fait venir les matières premières de l’étranger et démarré. » Aujourd’hui, côté industrie, les Hyjazi possèdent deux usines de fabrication de peintures (automobile et bâtiment), une société spécialisée dans la fabrication de bitume, une autre dans la transformation de matières plastiques, un site de fabrication de tôles (zinc et galva) ainsi qu’un atelier de production de joints et de roulements. « Les “Syiens”, comme on nous appelait alors, se concentraient dans le commerce et la distribution. Nous avons été quatre ou cinq pionniers à nous lancer dans l’industrie. Mais nous sommes encore des “artisans” : nous restons encore sur des petites et moyennes industries. J’espère que l’on pourra vivre l’étape suivante : le saut vers l’industrie lourde ou l’industrie de pointe », asssure celui que l’on dit proche d’Alassane Ouattara, le président ivoirien. Assez rapidement, le groupe Hyjazi se développe régionalement : en Afrique de l’Ouest d’abord, puis vers l’Afrique centrale. « C’est aussi une réponse à l’insécurité de nos vies : nous investissons, un peu, et partout pour nous prémunir de tout perdre si jamais… »
En 1997, les deux frères récupèrent dans leur escarcelle un centre commercial vétuste, abandonné depuis neuf ans : à partir de cette structure, ils ouvrent Prima Center, d’une surface de 16 000 m2, dans la région de Marcory. Toujours distributeur exclusif, le groupe, qui possède également de larges entrepôts, représente des marques internationales comme Lesieur, Panzani, ou Kellogs. Quand il regarde en arrière, Hassan Hyzaji, qui aime à s’entourer de la nouvelle génération (ses deux fils et ses deux neveux), a une phrase dure : « Au final, nous sommes des rescapés d’une histoire qui ne nous a pas épargnés. Nos familles ont connu des périodes de disette totale… » C’est peut-être pour cela qu’il aime aussi écrire. C’est d’ailleurs un auteur prolixe : de “Grand Bassam”, un récit historique sur l’arrivée (et les amours compliquées) des premiers Libanais d’Afrique à son très sérieux “Abécédaire économique”, l’homme d’affaires aime cultiver sa nostalgie d’un monde où l’on pouvait encore se faire tout seul.
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