Un article du Dossier

Les Libanais de Côte d’Ivoire tiennent 40 % de l’économie

L’arrivée de Carrefour à Abidjan accélère les investissements de Prosuma, un opérateur local qui tient déjà 60 % de la distribution de détail.

Nabil Zorkot
Le match s’annonce acharné : Carrefour, numéro deux mondial de la grande distribution, s’installe en Côte d’Ivoire en 2015 sur une surface de 18 000 m2, faisant de son futur établissement le plus grand hypermarché du pays. Face à lui, un outsider local, la Société ivoirienne de promotion des supermarchés (Prosuma) aujourd’hui numéro un de la distribution de détail en Côte d’Ivoire, avec 60 % de parts de marché, selon son directeur d’exploitation, Issam Fakhry.
L’histoire de ce groupe est déjà ancienne. Elle remonte au milieu des années 1960 au moment du “miracle économique” ivoirien : en 1966, la famille Kassam fonde Prosuma avec le lancement d’un premier supermarché Nour el-Hayat. De leur côté, à partir de 1982, les Fakhry, une vieille famille de Libanais de Côte d’Ivoire, arrivée au début du XXe siècle à Abidjan, développent leur propre réseau de supermarchés, qu’ils baptisent Trade Center. En 1993, les deux fusionnent tout en continuant à développer leurs enseignes respectives. Plus tard, en 1996, Adnan Houdrouge, le magnat de la communauté levantine du Sénégal, fondateur de la société Mercure International of Monaco (et accessoirement actionnaire de l’AS Monaco), entre à son tour au capital de Prosuma. Fin 1999, la Société des deux plateaux (S2P) est créée pour absorber une autre chaîne de distribution : les supermarchés Sococé, jusque-là détenus par Yasser Ezzedine, lui aussi libanais. Prosuma prend 75 % de cette nouvelle structure et Yasser Ezzedine le reste.
Officiellement, l’arrivée du géant mondial Carrefour n’inquiète pas le management de Prosuma. « Nous n’avons pas attendu l’arrivée de Carrefour pour investir en Côte d’Ivoire. Même au plus fort de la crise (la guerre entre factions politiques rivales en Côte d’Ivoire, NDLR), nous sommes restés et avons continué à développer nos activités dans le secteur de la grande distribution », assure encore Issam Fakhry.
Mais Prosuma accélère tout de même ses investissements. But de la manœuvre ? Asseoir sa présence sur Abidjan avant l’arrivée du mastodonte français. « Ce qui compte dans ce métier, c’est l’antériorité. » Fin 2012, l’opérateur ivoirien avait déjà ouvert un nouveau centre commercial à Abidjan, Cap Nord, dans le quartier de la Riviera Alabra : un espace de 4 700 m2 (15 boutiques), porté par une locomotive, l’enseigne Casino Géant, dont il développe la franchise dans le pays. Montant de l’investissement : 6,5 millions de dollars (3 milliards de francs CFA). Désormais, ses équipes rénovent l’autre grand centre commercial du groupe, Cap Sud, d’une surface commerciale de 14 000 m2, situé boulevard Giscard à Abidjan, lui adjoignant, à son tour, un Casino Géant de quelque 3 000 m2. L’investissement cette fois dépasse les 8,5 millions de dollars (4 milliards de francs CFA).
Même sans ces récents investissements, Prosuma et S2P ont de quoi résister : le groupe gère aujourd’hui 16 enseignes distinctes. Ce qui représente tout de même quelque 96 magasins dont deux hypermarchés et 11 supermarchés. En tout, ces deux entités emploient 2 500 salariés. À elles deux, Prosuma et S2P ont réalisé quelque 311 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2011, dernier chiffre connu. « Dans la distribution de détail, nous sommes l’un des rares de la région à présenter un tel niveau d’expérience, à l’aune des critères européens », se glorifie le directeur d’exploitation. On pourrait croire là à une certaine forme d’autosatisfaction. Mais un tour rapide dans les rayons convainc du contraire : le professionnalisme est bien là. Des guides touristiques comme Le Routard conseille à ses lecteurs d’aller y faire un tour pour les prix pratiqués comme pour la diversité des produits proposés. « Dans les années 1990, nous avons mis en place une centrale d’achat pour sécuriser notre approvisionnement et garantir des prix “raisonnables” sur des produits, qui restent malgré tout relativement onéreux, parce que souvent importés. On propose ainsi 30 à 50 000 références à la vente », poursuit Issam Fakhry.
Mais ce qui fait sa différence réelle, c’est la diversification du groupe. L’opérateur ivoirien dispose ainsi de 49 magasins discount Bon Prix pour une clientèle plus populaire. Pour une cible plus aisée, il a aussi développé six caves de l’Œnophile, spécialisées dans la vente de vins et de spiritueux. À cela s’ajoute également un réseau de 17 supérettes de quartiers, Cash Ivoire, en franchise, en plein essor.
Le secteur de la distribution a de quoi, il est vrai, aiguiser les appétits : en Afrique, ce modèle reste largement sous-développé. Selon Issam Fakhry, supermarchés et hypermarchés n’y représentent encore que 20 à 25 % de l’offre. Par comparaison, les grandes et moyennes surfaces représentent déjà 35 % au Liban (source : Mission économique française de Beyrouth) et 85 % en France ! « Le secteur est en croissance, de 8 % en moyenne annuelle, grâce à l’émergence d’une classe moyenne urbaine », ajoute Issam Fakhry. Ce qui devrait, pour lui, asseoir la société qu’il dirige tout en laissant une place suffisante à un nouvel acteur.
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