Une nouvelle “affaire” nationale sur l’hygiène et la sûreté alimentaire a éclaté en novembre. Contrairement aux scandales précédents provoqués par des empoisonnements et des hospitalisations en série, cette fois, c’est le ministre de la Santé lui-même qui est monté au créneau en dévoilant une liste d’établissements dans lesquels ses services ont trouvé « des aliments imprégnés de germes et de matières fécales », ainsi que de nombreuses irrégularités sanitaires. La conférence de presse du ministre Waël Bou Faour a déclenché un véritable tollé, sa liste de commerces – boulangeries, pâtisseries, restaurants, coopératives, supermarchés et boucheries – n’épargnant aucune région du Liban.
Ce n’est pas la première fois que l’image du pays est entachée par des scandales de ce genre : en mars 2012, des stocks de viande avariée destinés à près de 200 restaurants avaient été saisis. En février 2014, une autre affaire de ce type éclate, touchant cette fois un dépôt de viande périmée à Sioufi, suivie un mois plus tard d’une révélation concernant l’utilisation d’un produit antifongique – habituellement réservé au fromage en croûte, le Natamycine, dans la fabrication de la labné. Plus récemment, en juin dernier, trois restaurants ont été mis en cause suite à une dizaine de cas d’intoxication due à la consommation de poissons contaminés. À chaque fois, ces scandales déclenchent une tempête de réactions choquées et restent sans suite sur le terrain.
Le coup d’éclat du ministère de la Santé entre-t-il dans cette même logique ou bien annonce-t-il une implication plus sérieuse des pouvoirs publics ? Selon le ministre, les inspecteurs ont effectué ces derniers mois des visites dans 1 005 établissements du pays et relevé des échantillons sur certains produits qui ont été analysés dans un laboratoire appartenant à l’État. Résultat : une centaine d’entreprises clouées au pilori sur la place publique pour manquement aux normes avec une promesse d’avancer davantage de noms dans les prochaines semaines. Des contraventions ont été délivrées, certains établissements fermés et des dossiers transférés à la justice.
La démarche de Waël Bou Faour a d’emblée été politisée. Certains responsables, notamment le Premier ministre Tammam Salam, le ministre de la Justice Achraf Rifi et le député Walid Joumblatt lui ont « assuré leur soutien ». Tandis que les ministres du Tourisme Michel Pharaon ou de l’Économie Alain Hakim l’ont accusé « de détruire la réputation de noms respectables de la restauration et de salir l’image du Liban à l’étranger ». Les ministres de la Santé et du Tourisme ont fini par s’accorder fin novembre pour travailler avec le Syndicat des restaurants, cafés, night-clubs et pâtisseries du Liban à faire appliquer des normes d’hygiène alimentaire et à promouvoir les établissements conformes aux standards sanitaires requis.
Le public et les professionnels du secteur demandent quant à eux des réponses à nombre de questions que la communication du ministre laisse en suspens : sur quels critères le choix de l’échantillon d’enseignes contrôlées est-il basé ? Celui-ci n’a-t-il pas ciblé en priorité les grands noms situés sur les axes principaux et négligé les petites enseignes ? Les produits sélectionnés pour les tests sont-ils suffisants pour disculper ou accuser une enseigne ? N’aurait-il pas fallu tenir compte aussi des fournisseurs plutôt que de se focaliser uniquement sur les restaurants et les commerces ? Tony Ramy, président du Syndicat des restaurants, cafés, night-clubs et pâtisseries du Liban, dénonce quant à lui « le vice de procédure et de forme dans le prélèvement des échantillons, et les critères flous utilisés dans l’évaluation ». Selon certains restaurateurs, les inspecteurs n’auraient pas utilisé le matériel scientifique adéquat lors des prélèvements : ils n’auraient disposé ni de réfrigérateurs ni de récipients stérilisés, l’absence de ces outils pouvant sérieusement compromettre le produit depuis son prélèvement jusqu’à son arrivée au laboratoire.
Force est de constater que la nouvelle polémique déclenchée par le ministre de la Santé ne répond pas à ce stade au problème de fond, qui s’aggrave, à savoir l’impuissance des pouvoirs publics à mettre en œuvre des procédures de contrôles institutionnelles efficaces et pérennes dans le cadre d’une loi et de réglementations claires.
Le problème est intrinsèquement lié au système actuel. La compétence en matière de sûreté alimentaire est éclatée entre sept ministères – Santé, Tourisme, Agriculture, Industrie, Intérieur, Économie et Commerce, Finances –, chacun étant chargé d’un aspect du contrôle sanitaire et défendant ses propres prérogatives. L’absence de coordination se traduit par un manque de transparence et de stratégie unifiée qui empêche l’identification des lacunes sanitaires depuis leur source en passant par tous les maillons de la chaîne alimentaire. Par ailleurs, la loi actuelle date des années 1980 et définit une vingtaine de critères relatifs à la sûreté alimentaire qui restent très généraux, laissant le champ libre aux écarts. Le projet de loi sur le sujet élaboré en 2004 financé par l’Union européenne avec une aide juridique internationale est encore dans les tiroirs du Parlement. Enfin, la réputation des contrôleurs est entachée par des accusations de corruption. Sur cette dernière question, le ministre de la Santé a promis d’appliquer des sanctions.
Au-delà de ce nouveau coup de projecteur, il promet aussi de faire passer la loi sur la sûreté alimentaire au Parlement et de poursuivre les inspections à travers le pays. Affaire à suivre.