La prise par l’État islamique de plusieurs champs gaziers autour de la ville de Palmyre a remis en lumière la lutte continue des différentes parties au conflit syrien pour le contrôle des ressources du pays : le pétrole, le gaz et le blé.

En perdant la ville de Raqqa au printemps 2013, le régime syrien a aussi dû renoncer aux champs pétrolifères de la zone est du pays, ce qui a entraîné une lutte entre différents groupes armés, y compris des tribus, des groupes affiliés à l’opposition et d’autres au Front al-Nosra et à l’État islamique (EI) pour leur contrôle (voir Le Commerce du Levant de février 2014).
Cette bataille acharnée a entraîné la mort de centaines de combattants et de civils, et s’est conclue par la victoire de l’État islamique qui s’est emparé peu à peu de toute la région. Depuis, de nombreux témoignages font état d’opérations de vente de pétrole par l’EI au gouvernement syrien, mais aussi sur les marchés irakien et turc. Parce qu’ils représentent une importante source de revenus, ces champs ont depuis été la cible de la coalition internationale menée par les États-Unis contre l’EI.
Moins médiatique mais tout aussi importante a été la prise de contrôle par les Kurdes de l’Union démocratique (PYD) des champs situés au nord-est de la Syrie, autour de la ville de Hassaké. Ces champs contiennent des réserves importantes de pétrole et des informations ont également circulé sur un accord pour la fourniture de brut par le PYD au gouvernement.

Le gaz, nouvel objectif de l’État islamique

Contrairement au pétrole, le gaz syrien est extrait de champs qui se situent dans l’ouest du pays, principalement autour de la ville de Palmyre, et sont pour la plupart sous le contrôle du gouvernement. Au premier trimestre de cette année, la production de gaz naturel se situait selon les chiffres du ministère du Pétrole à 15,6 millions de mètres cubes par jour alors qu’en 2010 elle se portait à environ 24 millions de mètres cubes.
L’attaque sur la région de Palmyre par l’État islamique pourrait cependant changer la donne dans ce secteur.
Pour l’instant, les champs gaziers qui sont tombés dans l’escarcelle de l’organisation takfiriste sont relativement de faible importance. Les plus grands, qui avaient été développés durant la décennie précédente par des entreprises internationales, telle la canadienne Suncor Energy et la croate INA Petroleum, sont menacés, mais toujours tenus par les forces gouvernementales.
Il est probable que l’EI va chercher dans les semaines à venir à attaquer ces champs. L’objectif n’est probablement pas de vendre le gaz au plus offrant sur le marché. En effet, le gaz est un produit plus difficile à commercialiser et à distribuer que le pétrole et le seul client potentiel de l’EI serait le gouvernement qui en a besoin pour faire fonctionner ses centrales électriques. C’est grâce à la mainmise du gouvernement sur ces champs que les coupures d’électricité à Damas et dans les autres centres urbains du pays ont été jusque-là limitées.
En revanche, ces champs peuvent servir de monnaie d’échange dans la relation de l’État islamique avec le régime, soit pour vendre le gaz en contrepartie d’un paiement en liquide, soit pour obtenir d’autres types de concessions, d’ordre commercial, politique ou militaire.

Le blé, nouvelle source de conflit

Moins médiatisée, la lutte pour le contrôle de la récolte de blé est un nouvel enjeu important. Le gouvernement a récemment annoncé l’augmentation de 33 % du prix d’achat du blé à ses agriculteurs. Il s’est dit prêt à payer 61 000 livres la tonne cette année, soit environ 225 dollars, contre 45 000 livres la tonne l’année dernière. Il veut s’assurer de l’achat du plus grand volume possible de la récolte avec un objectif de 1,8 million de tonnes. Plus les volumes achetés aux agriculteurs locaux seront élevés, moins le gouvernement aura recours aux importations, c’est-à-dire à l’utilisation de ses maigres réserves en devises.
Mais là encore le régime est en compétition avec d’autres parties au conflit.
Le gouvernement intérimaire de la Coalition nationale, le principal groupe d’opposition civil au régime, a ainsi annoncé son intention de lever des fonds auprès du Groupe des amis de la Syrie, une coalition de pays occidentaux et du Golfe soutenant l’opposition, pour acheter 50 000 tonnes aux agriculteurs syriens. Ce blé sera utilisé pour fournir en farine et pain la population qui habite dans le nord du pays, dans les régions dites “libérées” du régime syrien.
Le gouvernement intérimaire estime la demande dans cette région à près de dix fois ce chiffre, soit autour de 500 000 tonnes. Cela confirme qu’étant donné ses difficultés financières, la branche exécutive de l’opposition pourra subvenir aux besoins de seulement 10 % de la population censée être sous sa responsabilité.
Un autre acteur s’est également imposé cette année sur le marché du blé. Selon un site affilié à l’opposition, Ahrar al-Sham, un groupe armé de tendance salafiste qui est influent en particulier dans la zone d’Idleb, a annoncé son ambition d’acheter du blé « pour assurer à la population ses principaux besoins et la protéger de la cupidité des seigneurs de guerre ».
Les volumes que l’organisation est prête à acheter n’ont pas été définis, mais il est intéressant de noter que ce serait la première fois qu’un groupe armé affilié à l’opposition se lance dans une transaction économique de cette dimension. Jusque-là, dans les régions contrôlées par l’opposition, un partage informel des tâches s’était mis en place avec, d’un côté, les groupes armés en charge de mener la guerre contre le régime et, de l’autre, le gouvernement intérimaire et les nombreux conseils locaux en charge de l’administration du territoire et de la population.
La décision d’Ahrar al-Sham reflète l’influence grandissante de cette organisation et ses nouvelles ambitions, ainsi que la consolidation de son emprise sur une partie du territoire syrien au même titre, par exemple, que l’Armée de l’islam dans la banlieue de Damas.

Déséquilibre entre zones de culture et de consommation

Même s’il gagne la bataille de l’approvisionnement, l’autre défi que devra relever le régime syrien concerne l’acheminement et la distribution du blé.
Il y a en effet un déséquilibre entre les zones de culture du blé, situées dans le nord et nord-est du pays, et les zones où il est consommé, c’est-à-dire où vit la plus grande partie de la population, la partie ouest de la Syrie. Ce déséquilibre est actuellement d’autant plus marqué que les zones de culture sont sous le contrôle soit de l’opposition, soit des Kurdes, soit de l’État islamique, alors que la plus grande partie de la population vit dans les zones contrôlées par le régime. En pratique, le gouvernement sera donc obligé, là encore, de négocier avec les autres parties du conflit pour pouvoir acheminer la récolte.
L’importance du blé réside dans le fait qu’il sert à la production de pain, l’aliment de base de la population. Durant les quatre dernières années, sa consommation a pris une importance plus grande, car la baisse dramatique du pouvoir d’achat a poussé une grande partie des Syriens à se passer de nombreux aliments devenus trop chers.
Pour les parties au conflit, le contrôle des stocks de blé fournit un certain nombre d’avantages : il permet de répondre aux besoins de la population et réduit donc les risques potentiels de mécontentement ; il joue un rôle de légitimation de ces parties, car il prouve qu’elles sont capables de gérer la vie des populations sous leur contrôle ; il sert d’outil de soumission et de chantage dans leur relation à la fois avec les populations sous leur contrôle et avec les différentes autres parties contre lesquelles elles se battent.
Alors que la lutte pour l’accès aux ressources est un élément important dans une guerre civile, la bataille pour le blé est particulièrement sensible car, pour la population syrienne épuisée, la capacité d’acheter du pain définit la limite qui sépare la pauvreté, une situation dans laquelle se trouvent la plupart des Syriens, de la faim, un danger qui guette un nombre croissant de personnes.