Alors que le CDR planche sur un projet d’incinérateur pour lequel il a lancé un appel à préqualifications, d’autres techniques de transformation des déchets en énergie sont à l’étude.

La nature de l’usine de transformation des déchets en énergie (Waste to Energy) envisagée par le Conseil du développement et de la reconstruction est inconnue à ce jour, le CDR refusant de communiquer à ce sujet. Plusieurs experts ont assuré au Commerce du Levant qu’il s’agit d’un projet d’incinérateur, ainsi que la lecture de l’appel à préqualification lancé en début d’année. Un ministre a toutefois évoqué une technologie plus propre, mais bien plus coûteuse : la gazéification au plasma. Dans un entretien à L’Orient-Le Jour, le ministre chargé du dossier, Akram Chehayeb, a quant à lui évoqué une troisième piste : « Pour le Grand Beyrouth et certaines régions du littoral du Mont-Liban, très peuplées, nous devrions avoir recours au RDF (Refused Derived Fuel ou combustible issu des déchets) pouvant être utilisé comme combustible dans les cimenteries par exemple. Ce n'est donc pas de l'incinération », a-t-il déclaré. La capacité mentionnée sur le site du CDR (2 000 tonnes par jour) tend cependant à confirmer la première option, à moins que l’État libanais ne soit atteint de la folie des grandeurs.
L’usine de gazéification par plasma la plus récente, construite en Grande-Bretagne et dotée d’une capacité inférieure à 1 000 tonnes par jour, ayant coûté la bagatelle de 500 millions de dollars ! S’il s’agissait d’appliquer cette technologie pour 2 000 tonnes par jour au Liban, cela signifierait que l’État est prêt à investir un milliard de dollars sur ce projet…
Le procédé de la gazéification consiste à transformer des déchets en gaz de synthèse en soumettant la matière à de très hautes températures en présence d’une faible quantité d’oxygène, et ce sans combustion. Il génère jusqu’à 75 % de fumée de moins qu’une incinération classique, de très faibles rejets de dioxyde de carbone et aucun rejet de dioxines. Les émissions de dioxines par des incinérateurs de déchets non contrôlés sont très toxiques et peuvent provoquer selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), « des problèmes au niveau de la procréation, du développement, léser le système immunitaire, interférer avec le système hormonal et causer des cancers ». Les usines de gazéification par plasma, elles, ne présentent pas ce risque et permettent de créer un gaz de synthèse utilisé pour alimenter des turbines de production d’électricité.
Mais « cette technologie est surtout adaptée au traitement des déchets industriels, médicaux ou dangereux », précise Sara el-Yafi, spécialiste des politiques publiques et de la transformation des déchets en énergie. « Utiliser la gazéification par plasma au Liban pour les déchets ménagers reviendrait à vouloir tuer une mouche avec une roquette », ajoute-t-elle.

Quid du RDF ?

Quant au RDF, mentionné par le ministre Akram Chehayeb, il pourrait servir à alimenter des industries énergivores, comme les cimenteries, ou les centrales électriques. Mais il ne peut être produit qu’à partir de déchets à forte valeur calorifique dont ont été séparés les déchets organiques, ce qui nécessite un tri préalable très performant, encore inexistant au Liban, à grande échelle. « Il est indispensable que le RDF soit de bonne qualité et qu’il soit disponible en quantité suffisante pour alimenter les fours à une cadence régulière », avait expliqué l’année dernière au Commerce du Levant, Jamil Bou Haroun, directeur du développement du cimentier Holcim.
La production de RDF présente aussi un risque sanitaire, si le procédé n’est pas strictement contrôlé, et implique des investissements importants de la part des industriels qui souhaitent l’utiliser.
« Il existe différentes technologies de valorisation énergétique alternatives à l’incinération », souligne Sara el-Yafi. « Le problème est que les responsables libanais ne veulent entendre parler que de projets déployés à grande échelle dans d’autres pays et censés avoir fait leur preuve. Ils ne comprennent pas que la technologie avance très vite dans ce domain et que des projets innovants menés à une échelle pilote ailleurs pourraient parfaitement s’adapter à un petit pays comme le Liban », déplore-t-elle. 

Efficacité énergétique

Cette experte plaide pour une technique en particulier, la gazéification simple, qu’elle a essayé de promouvoir auprès de plusieurs responsables libanais, dont le Premier ministre.
« Dans le domaine de l’énergie, il faut raisonner en termes d’efficacité, c’est-à-dire comparer le rapport entre l’énergie récupérée et celle qui a été dépensée pour la produire, poursuit la spécialiste. L’efficacité énergétique des centrales à charbon, la plus élevée, est de 49 %, celle au gaz naturel est de 40 %, celle de l’incinération au mieux est de 20 %, tandis que celle de la gazéification du plasma est de 23 %. Or il existe des usines de gazéification moderne, sans plasma, qui peuvent atteindre les 35 %. »
Selon elle, une usine de gazéification d’une capacité de 650 tonnes par jour permettrait de produire 18 MW d’électricité pour un investissement de 135 millions de dollars et des coûts opérationnels de 6 à 12 millions de dollars sur 25 ans. Accompagnée d’un centre de tri pour retirer le verre et les métaux, elle permettrait de réduire la part de déchets enfouis à 5 %. Des projets à cette échelle pourraient être adaptés à des grandes villes comme Beyrouth, par exemple, qui produit 600 tonnes de déchets par jour, tout en laissant la possibilité de mettre en œuvre d’autres modes de traitement ailleurs.

La problématique du recouvrement des coûts

Le financement des systèmes de gestion des déchets est l’un des problèmes sur lequel l’État devra se pencher s’il a vraiment l’intention de mettre en place une stratégie durable. En l’état actuel de la législation, « le secteur n’est pas financièrement viable. Il constitue une charge pour les finances de l’État et des municipalités qui sont ainsi privées de la capacité d’investir dans d’autres domaines », soulignait la Banque mondiale dans une étude parue en 2011. Les municipalités perçoivent une taxe pour l’entretien des rues, mais cette dernière ne couvre qu’une fraction des coûts de collecte et de balayage réels (42 % à Beyrouth et au Mont-Liban, moins de 15 % dans les autres régions, selon la Banque mondiale). Aucune redevance n’est en revanche prévue pour couvrir les coûts de traitement et de mise en décharge. L’essentiel de la chaîne est donc financé par les taxes indirectes collectées par l’État pour le compte des municipalités, à travers la Caisse autonome des municipalités (CAM). Mais les ressources de cette dernière étant elles aussi insuffisantes, le déficit a été pendant des années comblé par l’État, envers lequel les municipalités ont accumulé une dette estimée aujourd’hui à 2 700 milliards de livres (1,8 milliard de dollars). Le déficit était d’autant plus important que l’État ne versait pas aux municipalités la taxe de 10 % sur les factures de téléphonie mobile censées leur revenir. Cette irrégularité, entretenue par les gouvernements successifs depuis 1994, a été corrigée en décembre dernier, avec le versement aux municipalités des taxes collectées entre janvier 2010 et mai 2014 (environ 400 millions de dollars), le reste, dont le montant exact n’est pas précisé et fait l’objet de contestations, devant être échelonné ultérieurement.
Avant ce bouleversement, la Banque mondiale insistait sur la nécessité d’instaurer une redevance spécifique pour permettre aux municipalités de couvrir les coûts opérationnels de traitement des déchets, tandis que les investissements devaient être réalisés par le gouvernement et considérés comme irrécupérables. La taxe sur le mobile, si elle est versée régulièrement, pourrait jouer ce rôle et permettre aux municipalités de sortir de leur dépendance vis-à-vis de l’État dans ce domaine.