Malgré la paralysie des institutions étatiques, l’économie libanaise a continué de croître très légèrement en 2015. Les entrées de capitaux, son principal soutien, sont toutefois en forte baisse, ce qui reste gérable à ce stade, mais suscite des inquiétudes à terme.

L’économie libanaise a été entièrement tributaire de facteurs exogènes en 2015 – comme la présence de près d’un million et demi de réfugiés syriens ou la chute des cours du brut – dont les effets sont contradictoires : les réfugiés constituent d’une part un soutien à la demande et de l’autre un poids pour les dépenses publiques par exemple ; la baisse du pétrole allège la facture énergétique du pays, soulage les finances publiques d’une part, mais affecte de l’autre les transferts de capitaux vers le pays qui sont le poumon du système économique en vigueur depuis des années... Étant donné l’absence totale de politique publique, ne serait-ce que pour corriger conjoncturellement les effets négatifs ou amplifier les impacts positifs, le Liban ne s’en sort pas trop mal, une fois encore, avec une croissance certes revue à la baisse, mais positive, estimée à 1 % par le FMI et à 1,5 % par la Banque mondiale pour 2015.
« L’amélioration des conditions de sécurité est l’un des facteurs de soutien à l’activité. Les attentats et les troubles des années 2013 et 2014 avaient affecté la confiance des ménages et des entreprises. En 2015, la stabilité relative leur a donné un peu d’air. Mais le léger regain d’activité est aussi lié au fait qu’on part d’une base faible les années précédentes », commente Éric Leborgne, économiste principal à la Banque mondiale.
Une capacité de “résilience” qui devrait perdurer en 2016 – la Banque mondiale prévoit 1,8 % de croissance cette année – même si, pour la première fois depuis des années, le risque monétaire s’est accru pour le pays. Un risque symbolisé essentiellement par la forte chute des entrées de capitaux (-25 %) qui sont passées de 15,773 milliards de dollars en 2014 à 11,763 milliards en 2015 et un déficit de 3,35 milliards de dollars de la balance des paiements.

Déficit cumulé de dix milliards de dollars

Ce solde est négatif pour la cinquième année consécutive, ce qui représente un déficit cumulé de près de dix milliards de dollars.
L’ampleur de ce déficit cumulé n’est toutefois pas le seul critère pour l’analyse, estime Freddie Baz. Le directeur de la stratégie du groupe Bank Audi rappelle qu’il reste inférieur aux excédents cumulés des cinq années précédentes. « Historiquement, depuis les années 1960, la balance des paiements a toujours accusé des déficits ou des excédents équivalents à 20 % de celui de la balance commerciale. Sur longue période, les années de surplus dépassent de loin (80 %) celles des déficits, et la magnitude des excédents est plus grande. » Plutôt que de s’arrêter au déficit ou à l’excédent de la balance des paiements, une analyse plus fine de la position externe du pays – de laquelle dépendent les pressions sur le taux de change réel – est nécessaire, dit-il. « Le déficit de la balance des paiements n’est pas forcément synonyme d’un affaiblissement de la position externe du Liban étant donné l’importance des avoirs extérieurs des banques libanaises et de la Banque du Liban, alors que leurs engagements extérieurs restent limités : les dépôts des non-résidents ne représentent que 18 % des dépôts et bien qu’en baisse de 25 %, les réserves de la BDL continuent de représenter un coussin non négligeable de 40 milliards de dollars. »
« Le ralentissement du rythme de croissance des dépôts bancaires et le creusement du déficit de la balance des paiements réduisent la marge de manœuvre du Liban, mais pour l’instant il n’y a pas feu en la demeure », estime également Éric Leborgne, qui se dit aussi relativement rassuré par « d’autres indicateurs de confiance, tel que le taux de dollarisation des dépôts, qui s’était détérioré rapidement lors de précédentes situations de crise et qui, cette fois, reste stable ».

Risque monétaire accru, mais situation gérable

Pour Freddie Baz, cette baisse graduelle est gérable sans choc – notamment au niveau des taux de change – et seule une chute drastique des entrées de capitaux représenterait un vrai danger pour le Liban. Ce risque a augmenté en raison de la conjonction de trois craintes : la pression accrue sur le système financier liée aux mesures de lutte internationales contre le blanchiment ; une escalade éventuelle des sanctions saoudiennes contre le Liban ; et la baisse des transferts de capitaux due à la chute des cours du brut. Mais il est peu probable, selon lui, que ces trois risques se concrétisent simultanément.
Sur les 15 milliards de flux récurrents de capitaux entrant au Liban, les remises représentent 7 à 8 milliards de dollars, les investissements directs étrangers (IDE) 2 à 3 milliards et les transferts unilatéraux autour de 5 milliards. La baisse enregistrée en 2015 est essentiellement due à celle des IDE et un peu du reste. Cependant, les remises et les transferts de capitaux pourraient continuer de diminuer dans des proportions difficiles à établir avec certitude, car elles dépendent du rythme et de la nature des mesures d’austérité relative appliquées dans les pays du Golfe. « Quelque 90 % des flux de capitaux vers le Liban viennent du Golfe, d’Afrique et d’Australie – avec une part de 50 % du total pour le Golfe, 30-35 % pour l’Afrique subsaharienne et de 15 % pour l’Australie », estime Freddie Baz.
« De combien chaque point de croissance nominale en moins dans le Golfe va-t-il amputer les transferts ? C’est difficile de le dire avec exactitude. Selon la Banque mondiale, chaque point de pourcentage de variation des prix du pétrole a un impact l’année suivante ou celle d’après, de 30 points de base sur la croissance des dépôts domestiques. Ce, à travers deux canaux : moins de revenus pour les salariés travaillant dans le Golfe et moins de bénéfices pour les entreprises qui y opèrent. »
Le taux de croissance des dépôts bancaires libanais, corrigés de l’augmentation liée à la composante automatique, reste positif, souligne de son côté Éric Leborgne. Pour lui, l’impact à court terme de la chute des cours du brut aurait été plus négatif pour le Liban s’il n’y avait pas déjà eu la crise syrienne qui s’est déjà traduite par une baisse du tourisme et des investissements en provenance du Golfe.
De son côté, le directeur de la stratégie du groupe Bank Audi souligne « la corrélation très étroite entre les importations et les entrées de capitaux. Cela fonctionne comme si les Libanais rapatriaient de quoi financer leur consommation. Si les flux de capitaux continuent de diminuer, il faudra s’attendre à un ajustement de ce côté-ci qui impactera le niveau de vie des Libanais. Le pays peut vivre avec 5 milliards d’importation en moins. La moyenne actuelle est de 40 % du PIB, ce qui est très élevé. Le prix à payer serait de tomber à 35 % du PIB ».

La demande est soutenue par les réfugiés

Pour l’instant, les importations continuent d’augmenter, soutenues par la demande des réfugiés syriens et le maintien de la demande de consommation des Libanais. En valeur nominale, elles ont baissé de 12 %, de 20 à 18 milliards de dollars, mais si on ajuste ce chiffre de la baisse des prix du pétrole et de la dépréciation de l’euro, on obtient une augmentation de 6 %, précise Freddie Baz.
Les données officielles du Haut-Commissariat de l’Onu pour les réfugiés montrent que le nombre de réfugiés établis au Liban est resté stable en 2015, ce qui signifie que l’impact positif sur la demande enregistré les années précédentes n’est plus là. « Peut-être que les réfugiés consomment davantage étant donné une intégration plus grande, mais c’est impossible à quantifier. Nous avons supposé qu’à défaut d’augmentation de leur nombre, il n’y a pas eu de consommation additionnelle et d’effet positif sur la croissance, mais la demande de réfugiés et les dépenses réalisées par les agences internationales pour leur venir en aide continuent de soutenir l’activité », explique Éric Leborgne. Une étude réalisée par l’économiste Kamal Hamdan pour le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) avait chiffré à 800 millions de dollars les dépenses des quatre principales agences onusiennes et à 1,3 point leur impact sur le PIB.
Cet impact légèrement positif sur la croissance a aussi été soutenu par un autre facteur favorable : un regain relatif de l’activité touristique qui a enregistré une hausse de 12 % en 2015. De même, la reconduction du programme de subvention des crédits adopté par la Banque du Liban continue de soutenir la croissance, même si son effet s’essouffle. D’autant que la majeure partie de ce plan est concentrée sur le secteur de l’immobilier qui est l’un des plus affectés l’année dernière, avec un recul de tous ses indicateurs de performance.

Baisse des prix

L’anémie de la croissance, conjuguée à une baisse des cours du brut, s’est logiquement traduite par une baisse des prix. L’indice établi par l’Administration centrale de la statistique est en recul de 3,7 %, ce qui est significatif. Un chiffre que le FMI et la Banque mondiale reprennent à leur compte, puisqu’ils estiment que l’évolution des prix est de 4 % en 2015 sous le double effet de la baisse des prix du pétrole et de l’effet des variations de change sur l’inflation importée.
Tant le FMI que la Banque mondiale prévoient toutefois un retour à une inflation positive pour 2017, minimisant ainsi les inquiétudes concernant un cycle de récession conjugué à la déflation.
Quelles que soient les variations conjoncturelles de l’économie libanaise, la plupart des analystes s’entendent en tout cas pour dire qu’une reprise véritable dépend avant tout d’un rétablissement du fonctionnement des institutions publiques et de la mise en œuvre de réformes structurelles. La Banque mondiale établit dans un “diagnostic pays” paru en juin 2015 une série de politiques, notamment en matières d’investissement dans les infrastructures, qui pourraient avoir un effet positif rapide. Elle souligne toutefois que le principal obstacle au développement du Liban est lié aux dysfonctionnements du système politique né après l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre du Liban. Le problème est « la captation du pouvoir par une élite qui en tire profit et n’a donc aucun intérêt à réformer le fonctionnement du secteur public », lit-on dans le rapport qui a été présenté début avril à l’Institut d’études politiques de l’Université Saint-Joseph.