On s’en doutait déjà, mais les chiffres, que publie l’ONG Sakker el-Dekkené, dans son rapport « Etat de la corruption des Douanes », sont accablants pour l’institution publique libanaise : au port de Beyrouth – la zone ici étudiée - la corruption représente quelque 794,2 millions de dollars par an. 

Quant au manque à gagner pour les recettes fiscales, il atteint les 780 millions de dollars en 2013, selon l’association.

Si Sakker el-Dekkené s’est s’intéressé au Port de Beyrouth, c’est parce que cette institution émargeait en première position d’un sondage, qu’avait diligenté l’association en 2014 auprès des Libanais.

Encore lui fallait-il une occasion : elle lui a été donnée lorsque l’agence de l’ONU Comtrade, qui compile les statistiques internationales sur le commerce, lui a remis différents fichiers informatiques, portant sur l’année 2013. L’ONG a ensuite passé près d’une année à les analyser.

Fidèle à sa stratégie de « name and shame », qui a fait sa réputation depuis sa création en 2013, Sakker el-Dekkéné entend désormais faire pression sur le gouvernement pour l’obliger à se pencher sur une corruption endémique d’une des principales institutions libanaises.

« Nous avons mis le doigt sur un problème. Aux autorités de faire leur travail. Il est possible de combattre la corruption, il faut juste de la volonté », insiste Abdo Medlej, l’un des fondateurs.

Fraude fiscale à grande échelle
D’après les données de Comtrade, analysées par Sakker el-Dekkené, la principale source de corruption repose sur l’entrée sur le territoire libanais de conteneurs non déclarés ou dont la valeur marchande est sous-évaluée.

L’ONG a ainsi comparé la valeur des importations déclarée par le Liban (21 milliards de dollars) avec celle des exportations de neuf de ses principaux fournisseurs (Chine, Etats-Unis, Italie, France, Allemagne, Turquie, Royaume-Uni, Suisse, Grèce), qui représentent environ 50 % du total des exportations.

Conclusion ? En 2013, il existe un écart de presque deux milliards de dollars (1,95 millions de dollars très exactement) entre ces deux données.

« Si l’on prend la totalité des pays avec lesquels le Liban réalise des échanges commerciaux, le montant de la fraude atteint près de quatre milliards de dollars », estime Abdo Medlej.

Pour estimer le manque à gagner pour les recettes fiscales de l’Etat, l’ONG a appliqué une moyenne de 10 % de droits de douanes.

De fait, sur 1,95 milliard de dollars de fraude, la perte en terme de droits de douane tourne autour de 195 millions de dollars pour l’année 2013. Un montant à doubler (390 millions de dollars) si l’on prend en compte l’ensemble des échanges commerciaux non-déclarés.

Mais le manque à gagner ne se situe pas seulement au niveau des taxes douanières, l’Etat est aussi privé de la TVA (10%). Là encore, sur les montants estimés de la fraude : l’ONG estime la perte à 195 millions de dollars au titre de la TVA pour l’année 2013 ; le double si on prend en compte l’ensemble des exportations.

Au total, cette fraude fiscale avoisine les 780 millions de dollars pour une seule année.

Des bakchich pour aller plus vite
Mais le « scandale » ne s’arrête pas là. Selon l’ONG de nombreux pots-de-vin sont versés à différentes étapes du transit du conteneur dans l’enceinte du port de Beyrouth.

L’ONG chiffre cette « petite corruption » à quelque 14 millions de dollars, en se basant sur une moyenne des 300 conteneurs entrant chaque jour dans le port de Beyrouth.

« Il faut payer pour faire avancer les différentes procédures et aller plus vite… En fait, il faut payer à chaque étape », détaille l’un des fondateurs de Sakker el-Dekkené. L’ONG estime que pour un passage accéléré il faut compter entre 50 et 150 dollars, selon les cas.