L’ancien ministre, Gebran Bassil, avait promis 24 heures d’électricité au plus tard en 2015. Début 2017, on est encore loin du compte. Une amélioration de l’approvisionnement est toutefois prévue, en attendant la construction de nouvelles centrales.

« S’il n’y avait pas eu la crise syrienne, les objectifs fixés par le plan de 2010 auraient été quasiment atteints aujourd’hui », affirme d’emblée le ministre César Abi Khalil. Le plan, présenté à l’époque par Gebran Bassil, prévoyait la fin de la pénurie d’électricité à l’horizon 2014-2015, grâce à une augmentation significative de la capacité de production du pays, ce qui n’était pas arrivé depuis 1998. Une partie des projets envisagés devaient être financés par l’État et l’allocation des fonds (1 282 milliards de livres sur quatre ans) a été votée par le Parlement en octobre 2011. Six ans plus tard, la capacité de production a à peine augmenté.
L’objectif était de passer de 2 000 mégawatts (MW) de capacité installée en 2010 (dont 1 500 MW de réellement disponibles) à 4 000 MW en 2014. Or, en 2016,  le Liban n’a bénéficié que de 270 MW supplémentaires, alors qu’en parallèle la demande d’électricité a explosé. À elle seule, « la consommation des réfugiés syriens s’élève à 486 MW, soit l’équivalent de cinq heures de courant par jour », souligne le ministre, en se basant sur une étude réalisée récemment par le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement). Six ans après l’adoption du plan, aucune amélioration n’a donc été constatée  au niveau de l’alimentation en courant. La mise en service, présentée comme imminente, de deux nouvelles unités de production dans les centrales de Zouk et Jiyé, d’une capacité totale de 272 MW, devrait toutefois permettre à Électricité du Liban (EDL) de fournir trois heures de courant supplémentaires, assure César Abi Khalil. Reste à savoir comment seront répartis ces trois heures à l’échelle nationale, avec un rationnement actuellement très différencié selon les régions. La promesse des  24 heures semble en tout cas encore lointaine,   les pouvoirs publics ayant été incapables de mener à bien la plupart des projets prévus, à quelques exceptions près. Et pas forcément les plus pérennes.

Les barges turques

Gebran Bassil avait préconisé à l’époque des mesures d’urgence pour assurer les besoins à court terme, en attendant la réhabilitation des centrales existantes et la création de nouvelles. Elles consistaient à importer de l’électricité de Turquie via la Syrie et recourir à des centrales flottantes privées. Si le projet d’importation a été abandonné pour des raisons techniques, celui des barges a vu le jour avec près de deux ans de retard sur le calendrier initial.
Deux navires-centrales, d’une capacité initiale de 270 MW, appartenant à la société turque Karadeniz Powership, ont commencé à vendre de l’électricité à EDL en 2013, dans le cadre d’un contrat de trois ans, renouvelable pour deux ans. Ces centrales utilisent des moteurs diesel appelés “Reciprocating engine”, la technologie la plus économique pour le Liban après celle des turbines à gaz, selon le ministre.
Le recours à des investissements privés avec une durée d’amortissement aussi courte s’est toutefois reflété  sur la facture du contribuable.  Estimé dans le plan initial à 5,2 cents le kilowattheure, le prix payé par  EDL à Karadeniz Powership s’est  élevé à 5,95 cents le kilowattheure (kWh), sans compter le  fuel, fourni par l’État. Interrogé sur le coût total incluant le prix des combustibles, le ministère n’a pas été en mesure de nous répondre, arguant de l’incapacité de l’administration à produire des chiffres fiables, évalués sur une base scientifique. Il a également été impossible d’obtenir le coût moyen des centrales existantes qui aurait permis de faire des comparaisons.
Faute d’alternative, le contrat des barges a été renouvelé en 2016. Les conditions ont été améliorées pour EDL, avec notamment une baisse du prix de 0,1 cent le kWh, mais la capacité a été portée de 270 à 370 MW. Lors du renouvellement des contrats, en juillet dernier, un représentant de la société Karadeniz au Liban avait affirmé à L’Orient-Le Jour que des discussions informelles avaient eu lieu pour l’acheminement d’un troisième navire.
Cette option, comme celle de l’importation d’électricité des pays voisins, pourrait faire partie des mesures d’urgence que prévoit César Abi Khalil pour améliorer l’approvisionnement à très court terme, sachant qu’une centrale terrestre a besoin de deux ans minimum pour être construite. « Nous préparons un plan pour assurer au moins les besoins de cet été, mais je ne peux pas en parler avant la présentation en Conseil des ministres », dit-il.

La réhabilitation de Zouk et de Jiyé

Le gouvernement sera aussi être appelé à trancher la question de la réhabilitation des centrales de Jiyé et de Zouk, qui datent respectivement de 1971 et 1984, sachant que la durée de vie d’une centrale ne dépasse pas en général 30 ans. Ces projets sont dans les tiroirs depuis plusieurs années et un fonds arabe avait consenti à les financer après la guerre de juillet 2006. Un appel d’offres avait donc été lancé par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) en mars 2012. Des offres excessivement chères ont été reçues pour Jiyé en raison de la présence d’amiante dans les locaux. Pour Zouk, la proposition gagnante est celle de la société Ansaldo de Ahed Baroudi − qui avait remporté dans les années 1990 plusieurs contrats entachés de soupçons de corruption − et dépasse elle aussi le budget prévu. Le coût de la réhabilitation de Zouk est proche de celui de la construction d’une nouvelle centrale, ce qui pousse le ministère à plaider pour le démantèlement pur et simple des anciennes centrales et leur remplacement par de nouvelles infrastructures.

Les nouvelles centrales publiques

Pour ce qui est des nouvelles centrales, le plan initial prévoyait 600 à 700 MW de capacité additionnelle financée par l’État. Deux types de technologie étaient prévues : des turbines à gaz à cycle combiné CCGT à Deir Ammar, dans le Nord, et des “Reciprocating Engines” à Zouk et Jiyé. Ce dernier projet est le seul à avoir abouti, avec deux ans de retard.
Le contrat de construction a été attribué début 2013 à un consortium composé de la société danoise Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC) et l’allemande MAN Diesel & Turbo pour une capacité totale de 272 MW à 350 millions de dollars. Mais les travaux ont été suspendus à plusieurs reprises pour des problèmes de paiement au niveau du ministère des Finances. Le chantier, prévu au départ pour 2014, a été achevé l’année dernière. L’appel d’offres pour l’opération et la maintenance de ces unités a ensuite été remporté par la société MEP OEG, détenue par Karim Khayat, fils du propriétaire de la chaîne New TV. Là encore, le contrat a été bloqué pendant des mois au ministère des Finances, avant d’être récemment approuvé. Selon César Abi Khalil, ces unités « sont en phase de tests et devraient être reliées au réseau très prochainement ».
La construction de Deir Ammar II, en revanche, est au point mort. Cette centrale était censée apporter 550 MW, soit 5 à 6 heures de courant en moyenne par jour. Après un premier appel d’offres avorté, le contrat a été attribué en 2013 à la compagnie chypriote JP and Avax pour 502 millions de dollars, mais le chantier est à l’arrêt en raison d’un contentieux sur les modalités de paiement (voir Le Commerce du Levant de mars 2015) et le recours par la compagnie à une procédure d’arbitrage international. Le Conseil des ministres a chargé en octobre 2016 les ministères de l’Énergie et des Finances de négocier une reprise des travaux. Une première réunion a eu lieu en janvier dernier, mais César Abi Khalil se refuse à tout commentaire sur le sujet pour ne pas compromettre l’issue des négociations.

Les IPP

En attendant, un coup d’accélérateur devrait être donné aux projets privés. « Nous avons achevé les études de faisabilité, et un master plan sur 10 ans a été réalisé par la société française EDF », se réjouit le ministre. Le secteur privé est appelé à financer, construire et gérer des centrales d’une capacité totale de 1 500 MW à Selaata et Zahrani, dont le coût avait été estimé en 2010 à environ 1,5 milliard de dollars. Des appels d’offres seront organisés pour les “Independent Power Producers” (IPP) qui devraient vendre de l’électricité à EDL dans le cadre d’un contrat conclu sur une période de 20 ans en général. Ce mécanisme est prévu dans la loi sur l’énergie (n° 462) votée en 2002, qui prévoit la création d’une Autorité de régulation chargée d’organiser les appels d’offres et d’attribuer les permis de production. Estimant que la loi était inapplicable en l’état, le ministre Gebran Bassil avait proposé une loi spécifique pour encadrer la procédure. Mais le Premier ministre à l’époque privilégiait l’adoption d’une loi multisectorielle déléguant la gestion de tous les partenariats public-privé, les “PPP”, au Haut Conseil pour la privatisation (voir Le Commerce du Levant n° 5673 de février 2016). Ni l’un ni l’autre projet n’ayant abouti, les parlementaires ont opté pour un raccourci, en votant en 2014 un amendement de la loi 462 qui autorise pendant deux ans le Conseil des ministres à délivrer des permis de production, en attendant la création d’une autorité de régulation. En 2016, une nouvelle loi a prolongé ce délai jusqu’en 2018.
Le projet de loi sur les PPP figure aujourd’hui parmi les priorités du nouveau gouvernement. Mais le ministère de l’Énergie entend garder la main sur la procédure au niveau de l’électricité, en invoquant ses prérogatives constitutionnelles. Le Haut Conseil pour la privatisation agit en réalité comme « un Conseil des ministres resserré chargé de la coordination entre les différents ministères », estime César Abi Khalil. La formule de PPP permet à l’État de limiter ses dépenses d’investissements, mais elle n’est pas sans coûts. Selon une étude publiée par la Banque mondiale en 2009, un kilowattheure produit par une centrale financée par le secteur privé au Liban coûterait 1,6 cent de plus que celui d’une centrale publique. L’institution souligne toutefois que cette étude ne prend en compte que l’aspect financier, sans évaluer les gains potentiels de temps et d’efficience que pourrait apporter le secteur privé.
Elle appelle en tout cas l’État libanais à évaluer et mitiger correctement les risques pris par les entreprises privées pour éviter qu’ils ne se répercutent trop sur les prix du kilowattheure produit, notamment le risque de change. Le secteur privé devra en effet investir des sommes considérables en échange de paiements sur 20 ans de la part d’une institution déficitaire, et dont les recettes sont libellées en livres libanaises. L’étude ne mentionne pas un autre risque, pourtant très plausible au Liban, celui de la corruption, qui alourdirait la facture.
César Abi Khalil, lui, est très confiant sur la capacité du ministère à défendre les intérêts du contribuable. « Nous pourrions avoir recours à des experts si besoin, dit-il. Mais nous n’en sommes pas à notre première expérience. Nous avons été les premiers à faire des partenariats public-privé avec les barges turques, les prestataires de service dans la distribution et bientôt dans le domaine des énergies renouvelables. »

Les énergies renouvelables

Un appel d’offres a en effet été réalisé en 2012 pour la production d’électricité à partir de l’énergie éolienne. Trois offres ont été reçues pour une capacité totale de 200 MW. Cela devrait représenter un investissement de 200 à 250 millions de dollars. Le contrat d’achat d’énergie entre ces producteurs et EDL doit être bientôt soumis en Conseil des ministres. En parallèle, le ministère prépare un appel d’offres pour l’énergie solaire, portant sur l’installation de parcs photovoltaïques d’une capacité totale de 120 MW sur l’ensemble du territoire, et la fourniture d’électricité à EDL sur une période de 20 ans. Les entreprises intéressées ont été invitées à manifester leur intérêt avant le 28 février. Les contrats devraient être attribués avant la fin de l’année. Le montant des investissements est estimé entre 80 et 120 millions de dollars.
Ces projets s’inscrivent dans l’objectif fixé dans le plan Bassil de porter à 12 % la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’électricité du pays d’ici à 2020. Pour y parvenir, le ministère ambitionne de développer aussi la capacité de production hydraulique, qui est actuellement de 190 MW. Des études ont permis d’identifier une trentaine de sites où des investissements pourraient être réalisés pour la porter à 368 MW, mais leur mise en œuvre est tributaire d’une révision du cadre réglementaire et institutionnel.