Un article du Dossier

Les hôtels de montagne, un marché à part

Sur 349 hôtels recensés au Liban par le ministère du Tourisme, 262 se trouvent en dehors de Beyrouth dont 38 à proximité des stations de ski.  La grande majorité de ces établissements sont gérés en indépendants. Deux exceptions : l’InterContinental, présent depuis 1999, qui a été rejoint par un autre opérateur international, Warwick, à Ehden en 2016.
Parmi les enseignes les plus emblématiques du pays, on ne compte aucune fermeture. Bien au contraire, d’importants investissements témoignent d’un dynamisme certain. Ainsi le domaine de Zaarour a refait peau neuve pour 40 millions de dollars, le Mist Hotel and Spa by Warwick a ouvert à Ehden moyennant 27 millions de dollars et l’InterContinental Mzaar Lebanon Mountain Resort and Spa poursuit sa rénovation pour 5 millions de dollars.

La montagne épargnée par la crise du tourisme

Depuis 2011, l’aggravation des tensions sécuritaires et politiques a entraîné une chute continue du nombre de touristes et une crise du secteur hôtelier sans précédent depuis la fin de la guerre civile en 1990.
Pourtant, les établissements de montagne semblent relativement épargnés,  car ils comptent avant tout sur une clientèle libanaise.
« Ces dernières années nous avons fonctionné avec environ 95 % de clients libanais contre seulement 5 % d’étrangers. En 2017, la part d’étrangers se rapproche des 10 %, mais cela reste marginal », explique Joost Komen, de l’InterContinental Mzaar Lebanon Mountain Resorts and Spa.
Si la clientèle locale compense en partie la baisse du tourisme, la situation a un effet pervers pour les hôteliers : les Libanais ne “montent” généralement au ski que le week-end, laissant les chambres vides durant la semaine. 
« Notre activité d’hiver se résume en réalité à une trentaine de jours pleins avec lesquels il faut vivre toute une saison », dit Tony Saadé, propriétaire de l’hôtel Eleven et de l’auberge Montagnou à Kfardebiane.
Qui dit clientèle libanaise stable dit aussi besoin de se démarquer. Si certains hôteliers misent sur la rénovation, d’autres font le pari d’établissements de type “boutique hôtel” offrant au client une expérience personnalisée.
Grâce à la stabilisation de la situation politique fin 2016, les touristes reviennent cependant progressivement au Liban. Plusieurs hôteliers en ont déjà fait le constat en ce début d’année : les touristes “arabes” et quelques européens ont retrouvé le chemin des pistes.

Le Liban : première destination de ski de la région

Si les hôtels de montagne marchent bien, c’est avant tout car le Liban est la première, voire la seule destination de ski de la région. Pour les voyageurs en provenance des pays arabes, la proximité géographique est un avantage, mais pas seulement.
« Il se peut qu’un voyage dans les Alpes coûte autant qu’une semaine au Liban, mais la clientèle arabe préfère venir chez nous, car ils sentent une proximité culturelle, notamment grâce à notre langue commune, et un sens du service particulier », explique Carole el-Murr, PDG du Domaine de Zaarour. 
En plus des touristes arabes, le Liban sait aussi s’attirer une clientèle occidentale. « Les Européens y voient une destination de ski exotique. L’idée n’est pas tant la performance sportive que l’expérience en soi », constate Charbel Sabbagh, propriétaire de l’hôtel Urban à Faqra Kfardebiane.
Le pari du ski est pourtant risqué, car certaines années, la quantité de neige est insuffisante pour soutenir l’activité des stations. Sabbagh se souvient de l’hiver 2013 : « La saison n’a duré que quelques jours, c’était un enfer. »
Et même quand la neige est au rendez-vous, il reste des obstacles. « Nous sommes tributaires des intempéries. Quand il y a de la neige et que l’hôtel est complet, il se peut que les clients ne parviennent pas jusqu’à nous car, au Liban, les infrastructures ne sont pas adaptées et la route est souvent bloquée. Résultat, nous sommes toujours dans l’incertitude », explique Tony Saadé.

Des opportunités à saisir pour la période estivale

Pour les hôteliers de montagne, l’été est une saison tout aussi importante que celle du ski.
« Nous recevons beaucoup de clients au mois d’août entre les mariages et la fête de la Vierge », dit Joost Komen.
Les différents établissements et professionnels du tourisme proposent des  activités liées à la nature, comme des randonnées à pied ou à vélo, du quad, du parapente ou encore profitent des festivals organisés par les municipalités.
C’était notamment le cas l’été dernier à Ehden où le Mist Hotel and Spa by Warwick a pu compter sur la clientèle du Festival Ehdeniyat.
Toutefois, la plupart des hôteliers interrogés dans le cadre de cet article considèrent qu’il y a encore beaucoup de marge pour développer des activités estivales. 
Au Domaine Laqlouq Village Vacances par exemple, on mise sur les familles et les groupes scolaires. « Chaque année, nous organisons un camp d’été pour les enfants où ils font toute une série d’activités sportives : du kayak, du rafting ou de la randonnée », explique Nour Saab, directrice générale du domaine.

Le défi des saisons mortes

La basse saison, que beaucoup d’hôteliers appellent aussi la « saison morte », revient deux fois par an. Elle se situe entre les mois d’avril-mai et d’octobre-novembre. Certains établissements choisissent de fermer durant cette période afin notamment d’effectuer des travaux de rénovation et de maintenance, comme le Montagnou et Eleven à Kfardebiane.
Certains comme le Mist, l’InterContinental ou Terrebrune cherchent à se diversifier en proposant des tarifs préférentiels à des entreprises afin qu’elles organisent des séminaires ou des réunions de team building.  D’autres établissements comme le Shangri La et le Nirvana à Laqlouq organisent des soirées et des événements à thème.
Dans le contexte particulier de la saisonnalité, la gestion du personnel est un défi. La plupart des hôteliers interrogés déclarent embaucher une partie de leur personnel en contrats fixes et d’autres de manière ponctuelle sur des contrats mensuels ou journaliers. Pour réduire les coûts, les hôteliers tentent d’embaucher localement.
« J’essaie d’embaucher un maximum de personnes originaires de Kfardebiane ou des alentours, car cela contribue à l’écosystème local et me permet d’amortir mes coûts dans la mesure où je n’ai pas besoin de leur offrir un logement », dit Charbel Sabbagh.
Une dimension immobilière à ne pas négliger

Parmi les hôtels de montagne, certains font partie de grands domaines dont le modèle économique repose sur la vente de terrains et de chalets. Dans ce cas, l’hôtel sert de produit d’appel. « C’est une manière de promouvoir les biens immobiliers à vendre. Au sein du domaine, l’hôtel est un centre d’attraction. Les clients s’y rencontrent, y séjournent, puis se décident à acheter ou non », dit Carole el-Murr, où une quarantaine de chalets d’une valeur comprise entre 140 000 et 200 000 dollars sont à vendre. Selon Carole el-Murr, la moitié ont déjà trouvé acquéreur.
Autre hôtel symbolique de ce modèle de valorisation foncière d’un domaine de montagne : L’Auberge de Faqra détenu par le groupe Hôtellerie Faqra. Situé au centre d’un terrain de plus de 250 hectares et détenu par une compagnie sœur, Solipro. L’établissement sert de vitrine à l’ensemble du domaine. « Les activités de l’hôtel et ses services attirent les acheteurs », explique Roger Kobrosy, directeur général de l’Auberge de Faqra. Et la stratégie semble bien fonctionner : à l’ouverture de l’hôtel en 1978, cette partie de la montagne ne comptait qu’une vingtaine de résidents contre plus de 400 aujourd’hui.

La restauration, un plus pour les hôteliers de montagne

Dans certains cas, la présence d’un restaurant emblématique motive l’ouverture d’un hôtel. C’est le cas par exemple des établissements Chez Michel, qui précède le Terrebrune ou bien du Montagnou. A contrario des restaurants d’hôtel en ville, les restaurants de montagne peuvent ainsi être des moteurs pour la croissance de l’activité hôtelière. Quand ils ne le sont pas directement, ils participent à l’image de marque de l’établissement comme dans le cas du restaurant Le Refuge à l’InterContinental Mzaar.



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