Spécialiste des questions fiscales dans le secteur des hydrocarbures, Carole Nakhlé, fondatrice de la société de conseil Crystol Energy basée à Londres, est l’une des rares expertes indépendantes qui s’est penchée sur le cadre fiscal* élaboré
par les autorités libanaises pour le programme d’exploration du gaz offshore. Entretien.

Le cadre fiscal du programme offshore libanais est quasiment finalisé : quelle lecture en faites-vous ?
Le cadre fiscal d’un programme pétrolier est une affaire complexe. Son évaluation dépend d’une série de paramètres. Les débats sur la question au Liban ont souvent porté sur l’une ou l’autre des variables qui le définissent, alors que c’est une vision d’ensemble qu’il faut avoir. J’ai réalisé et présenté au Parlement libanais une étude du cadre libanais en le comparant à ceux d’Israël et de Chypre qui partagent le même bassin levantin de la Méditerranée, et à celui de la Norvège. Je crois que seule la suggestion de fixer un plafond aux coûts récupérables par le consortium avant distribution des bénéfices et un minimum à la part de l’État a été adoptée.

Quelles sont vos principales réserves ?
Je ne conteste pas les choix principaux effectués par les autorités libanaises qui ont opté pour un contrat de partage de production, ce qui me semble adapté à la situation du Liban : un pays encore vierge dans le secteur. Mais j’ai des réserves concernant le choix de fixer à 20 % l’impôt sur les bénéfices des sociétés pétrolières, car il est en général recommandé – notamment par le FMI – de conserver le même taux que celui qui s’applique au reste des activités commerciales (15 % dans le cas libanais). J’en ai aussi sur l’architecture du contrat et de l’appel d’offres : le nombre de variables sujettes à des enchères est trop élevé. Les meilleures pratiques internationales consistent à en soumettre deux maximum aux offres des compagnies, et, de préférence, une seule. Car avec une telle variabilité, on va se retrouver avec une structure fiscale différente pour chaque contrat – chaque bloc –, ce qui compliquera considérablement les comparaisons, au détriment de la lisibilité et de la transparence. Une adjudication optimale devrait garantir la possibilité de comparer les contrats, ce qui supposerait de ne pas soumettre à des enchères les paramètres qui déterminent la part des revenus revenant à l’État (les termes fiscaux du contrat).

Le fait de soumettre plusieurs variables à des enchères n’est-il pas un moyen de renforcer l’attractivité du Liban en accordant le plus de souplesse possible aux compagnies ?
Lorsque l’on n’est pas expert en fiscalité, il est parfois difficile de comprendre qu’un système fiscal bien conçu s’adapte automatiquement à des conditions de marché changeantes – que ce soit l’évolution des prix du pétrole et du gaz ou d’autres – et non pas l’inverse. La simplicité est, au même titre que la neutralité et la stabilité, l’un des fondements de la fiscalité. Les autorités libanaises font l’erreur de chercher le sur-mesure. Pourtant personne n’imaginerait, pour le reste des activités économiques, d’adapter la fiscalité à chaque secteur. Il faut bien sûr des ajustements qui accompagnent, par exemple, l’évolution du bassin (la fiscalité n’est pas la même lorsque la province pétrolière est nouvelle, atteint son pic de production ou est en phase de déclin rapide), mais le socle doit être le même. C’est le cas dans les pays les plus avancés comme la Norvège, la Grande-Bretagne, l’Australie, etc. Par contraste, l’architecture choisie par le Liban risque de compliquer les choses. Or plus il y a de complication, moins il y a de transparence. Ma recommandation aurait été de fixer le cadre fiscal dans une loi – plutôt qu’un décret – et de laisser jouer la concurrence sur le programme de travail.

Le gouvernement libanais affirme faire preuve de très grande transparence sur le dossier du gaz offshore. Partagez-vous cette appréciation ? Au-delà de son contenu, comment évaluez-vous la façon dont le cadre fiscal libanais a été adopté ?
L’Autorité de l’énergie a eu recours à des experts, mais contrairement à ce qui est devenu la norme dans les pays développés en matière de transparence, la plupart se sont passées à huis clos. Plusieurs semaines après l’adoption en Conseil des ministres du projet de loi sur les activités pétrolières, le texte n’était pas encore public. Si le Liban voulait vraiment bien faire les choses, il aurait dû, et devrait, lancer une consultation publique sur les textes en préparation, avant même leur adoption. Quiconque a des remarques aurait ainsi été invité à les publier. Le débat aurait été ouvert et transparent. Malheureusement cette culture n’existe pas au Liban.

Que pensez-vous de l’argument selon lequel le Liban fait l’erreur de ne pas créer une compagnie nationale dès le premier cycle d’attribution de contrats d’exploration ?
La législation libanaise prévoit la possibilité d’imposer un partenariat avec une compagnie nationale dès qu’une découverte commerciale est réalisée. Cela signifie que celle-ci ne participe pas aux coûts et à la prise de risque, mais est associée à la répartition des bénéfices. Une telle possibilité entre dans la catégorie des clauses fiscales s’apparentant à une redevance régressive. Combiné à des royalties de 4 % et un plafonnement du recouvrement des coûts, son poids aurait été excessif à ce stade, du point de vue des compagnies, aucune découverte n’ayant encore été réalisée. Je ne pense donc pas qu’il faut absolument une compagnie nationale d’entrée de jeu – plusieurs pays ont développé un important secteur pétrolier sans compagnie nationale – et celle-ci n’est pas non plus indispensable pour auditer les coûts dont le remboursement absorbe une part très grande des recettes gazières. Ce n’est pas compliqué d’auditer les coûts, et, généralement, les risques de corruption ne se situent pas à ce niveau – car les outils de comparaison internationaux existent – mais plutôt justement au niveau des compagnies nationales et dans la partie locale des contrats, comme le montre le scandale en cours au Brésil.

En quoi consiste la partie locale ?
Le Liban a choisi d’imposer aux compagnies d’accorder la préférence aux sous-traitants libanais et de recourir à des Libanais pour 80 % de leurs embauches, mais on ne sait pas vraiment comment ce seuil a été fixé et dans le cadre de quelle stratégie nationale il s’inscrit : à ce jour, Beyrouth n’a d’ailleurs toujours pas établi de stratégie nationale moderne pour le secteur des hydrocarbures. Sachant que Chypre se positionne avant tout comme une base d’exportation vers l’Europe ; qu’Israël accorde la priorité à son marché domestique et que la Norvège se concentre sur la création de valeur grâce à une industrie compétitive.

En matière de transparence, observez-vous d’autres risques ?
Le Liban est le seul des quatre pays que j’ai comparés qui ne fait pas référence à l’accès public à l’information sur les questions pétrolières et gazières dans sa loi sur les hydrocarbures. Cette omission est d’autant plus importante qu’au moment de l’adoption de la loi en 2010, le Parlement n’avait pas encore voté la loi sur l’accès à l’information.
Bien sûr, on doit reconnaître l’effort des autorités libanaises pour améliorer la transparence du secteur, en optant notamment pour adhérer à l’EITI (Initiative pour la transparence dans les industries extractives). Cela dit, la transparence ne suffit pas, il faut aussi être en mesure de rendre des comptes.
La législation des quatre juridictions que j’ai passées en revue impose la réalisation d’une étude d’impact socio-économique et d’une étude d’impact environnemental avant de débuter toute activité pétrolière. Au Liban, cependant, contrairement à la pratique internationale, il n’y a pas d’obligation de réaliser une étude environnementale pendant la phase d’exploration et d’évaluation.

(*) Voir “Le Commerce du Levant” d’avril 2017.

Gaz offshore : huit nouvelles sociétés préqualifiées

Huit nouvelles sociétés ont été préqualifiées pour la première phase d’attribution de contrats d’exploration et de production de gaz au large du Liban. Il s’agit de l’indienne ONGC Videsh Limited (déjà préqualifiée en 2013 mais désormais comme opératrice), des russes PJSC Lukoil (pas retenue en tant qu’opératrice) et JSC Novatek, de la malaisienne Sapurakencana Energy Sdn Bhd, de l’algérienne Sonatrach International, de la qatarienne Qatar Petroleum International Limited, de l’iranienne Petropars Ltd et de New Age African Global Energy basée en Grande-Bretagne. Deux candidats n’ont pas été retenus : Advanced Energy Systems (ADES) et le consortium Vega Petroleum Limited/Edgo Energy Limited/Petroleb.
En 2013, 46 sociétés avaient été présélectionnées, avant l’interruption du processus d’adjudication relancé en janvier 2017 après l’adoption de deux décrets nécessaires à l’achèvement du cadre réglementaire nécessaire au lancement de l’appel d’offres. Les entreprises ou coentreprises retenues à l’époque restent qualifiées, à l’exception du consortium JSC Novatek/GPB Global Resources BV qui a été dissout (JSC Novatek reste préqualifiée seule), ce qui porte à 53 le nombre total d’entreprises en lice. La présentation des offres est prévue le 15 septembre.