La livre syrienne reprend des couleurs. La fin de la guerre dans de nombreuses parties du pays et la relance relative de l’activité économique en sont les principaux soutiens.

Après des années de chute libre – son taux est passé de 47 livres pour un dollar en mars 2011 à 520 livres en juillet 2016 −, la livre syrienne a ralenti considérablement sa dépréciation, voyant même sa valeur augmenter relativement au dollar sur le marché libre des changes ces dernières semaines pour revenir presque à son taux de juillet 2016. À la mi-juin, le dollar s’échangeait ainsi à 525 livres.
Ce n’est pas la première fois depuis le début du soulèvement qu’on assiste à une amélioration de courte durée du taux de change, mais plusieurs facteurs semblent indiquer que cette fois la livre pourrait consolider ses gains sur un plus long terme.

Les facteurs qui expliquent la stabilité de la livre

Il est important de revenir d’abord sur les changements récents du taux de la livre et les facteurs qui l’expliquent.
En juillet 2016, après six mois de chute rapide de la monnaie nationale, un nouveau gouverneur, Doureid Dergham, était nommé à la Banque centrale, mettant fin au règne très controversé de 11 ans d’Adib Mayaleh.
L’arrivée de M. Dergham a entraîné l’adoption de plusieurs décisions, y compris une restriction supplémentaire des importations, qui a permis une réduction de la demande de devises et l’arrêt de l’utilisation des bureaux de change comme intermédiaires pour intervenir sur le marché des changes. La Banque centrale s’est rabattue sur les banques commerciales qui sont bien plus régulées et contrôlées afin de réduire les risques de spéculation.
À cela se sont ajoutées une petite amélioration de l’activité économique ainsi que des avancées notables des troupes du régime aux dépens de l’opposition. La prise d’Alep à la fin 2016 a été un moment particulièrement décisif.
Finalement, l’accord tripartite russo-turco-iranien de mai, qui a mis en place quatre zones de désescalade, a renforcé la conviction chez beaucoup d’analystes que la fin de la guerre était proche, au moins dans les zones occidentales du pays contrôlées par le régime.

Les perspectives pour le second semestre 2017

L’absence totale de données officielles ainsi que le manque de communications par les autorités syriennes sur leur future politique monétaire ou encore sur leur analyse du marché des changes rend tout exercice de prospective difficile. Certains facteurs qui pourraient peser sur le taux de la livre peuvent cependant être identifiés.

La balance des paiements et les réserves en devises
Alors que la balance des paiements était positive en 2010 (+3,3 milliards de dollars), elle est négative depuis. Selon le Fonds monétaire international, la Syrie avait un solde négatif de 3,8 milliards en 2012, 4,5 milliards en 2013, 2,7 milliards en 2014 et 4,1 milliards de dollars en 2015. Les estimations pour 2016 ne sont pas encore disponibles.
Ce déficit est dû à la chute massive des exportations, qui sont passées de 12 milliards de dollars en 2010 à moins d’un milliard l’année dernière ainsi qu’à la baisse tout aussi significative du nombre de touristes et des investissements. Les importations ont également baissé, mais de façon nettement moindre.
Les principales sources de recettes en devises sont les transferts des émigrés et l’aide internationale.
Au cours des prochains mois, le déficit va rester très important au vu de la dépendance de la Syrie aux importations. Par ailleurs, ni les touristes ni les investissements étrangers ne sont prêts de revenir.
Le différentiel entre l’offre et la demande de devises va donc en bonne partie dépendre de l’aide financière iranienne et de la capacité de la Banque centrale à limiter autant que possible les importations.
Par ailleurs, l’instrument principal de la Banque centrale pour gérer le marché des devises  s’est limité à l’utilisation de ses réserves de change.
Celles-ci sont tombées d’environ 20,7 milliards de dollars à la fin de 2010 à un milliard de dollars à la fin 2015. Maintenant que ces réserves ont quasiment disparu, la Banque centrale a perdu son principal outil d’intervention sur le marché des devises.

L’économie et le commerce
De la même façon que la destruction massive des capacités de production a été un facteur important dans la dévalorisation de la livre syrienne, une amélioration durable de l’activité économique aura des conséquences positives.
De nombreux signes indiquent que l’économie syrienne pourrait croître cette année pour la première fois depuis 2010 (voir Le Commerce du Levant de février 2017). Ces signes positifs ont été par exemple confirmés par des estimations récentes sur les ventes de ciment qui pourraient augmenter de 15 à 20 % cette année par rapport à 2016.
Deux autres développements sont aussi à signaler. En mars, les troupes du régime et celles des Kurdes du PYD ont fait la jonction à l’est d’Alep permettant pour la première fois depuis 2013 de relier les régions du Nord-Est avec le reste du pays. L’ouverture de cette voie va permettre à Damas de s’approvisionner à nouveau en ressources naturelles du Nord-Est (blé, orge, pétrole) à des coûts moindres que précédemment, et donc de réduire théoriquement ses besoins en importations. De manière générale, avec la fin du conflit dans une grande partie du pays, le nombre de barrages s’est réduit, ce qui va permettre une baisse du coût des transports, et donc de production.
Par ailleurs, la prise de contrôle de plusieurs champs gaziers et pétroliers jusque-là tenus par l’État islamique à l’est de Homs va augmenter la fourniture de courant électrique et améliorer la compétitivité et la productivité des entreprises syriennes. Un regain des exportations qui sont tombées à un niveau extrêmement bas est assez probable.
Cette amélioration économique aura un effet positif sur l’offre, les prix et éventuellement le taux de change.
En revanche, la baisse continue des subventions sur de nombreux produits de consommation maintient le taux d’inflation à des niveaux très élevés, entraînant une baisse du pouvoir d’achat de la monnaie. Le regain d’activité pourrait théoriquement entraîner une hausse des importations et donc de demande de devises, mais la Banque centrale va probablement continuer de limiter les flux d’importation.

Les changements sur la carte militaire
Depuis 2011, les gains militaires du régime ont généralement renforcé la valeur de la livre et réciproquement. En mars 2016, les autorités russes avaient par exemple annoncé qu’elles allaient retirer leurs troupes de Syrie, entraînant un décrochage de 4 % du taux de la livre. Quand il s’est finalement avéré que l’armée de l’air russe ne se retirait pas, la monnaie nationale a repris des couleurs.
Pour les prochains mois, deux tendances se dessinent. Sur les fronts est et nord-est du pays, les troupes du régime soutenues par l’armée de l’air russe et les nombreuses milices chiites afghanes et irakiennes continuent à avancer, alors que dans la partie occidentale les nombreux “accords de réconciliation” qui ont été signés avec des groupes d’opposition semblent devoir s’étendre aux dernières poches de résistance dans la banlieue est de Damas ainsi qu’au nord de Homs.
Ces avancées pèseront en faveur d’un renforcement de la valeur de la livre syrienne.
Une incertitude demeure quant au rôle américain dans la guerre et en particulier les risques d’incidents impliquant des troupes américaines dans le Sud dans la zone frontalière syro-irakienne. Si un incident devait par exemple impliquer des milices iraniennes dans des combats avec les Américains, les tensions pourraient monter à nouveau. À l’heure actuelle, on semble encore loin de ce scénario.

Une possible amélioration du taux de la livre

Au vu de l’instabilité générale dans le pays, de la situation politique compliquée et du manque de données, il est très difficile de faire des projections. Mais pour une fois une chute supplémentaire du taux de la livre n’est plus une fatalité, une hausse est possible et en soi c’est une nouvelle positive pour la monnaie et l’économie syriennes.