Une oeuvre de la peintre libanaise Tagreed Darghouth, prêtée le temps de la BAF par Basel Dalloul
Une oeuvre de la peintre libanaise Tagreed Darghouth, prêtée le temps de la BAF par Basel Dalloul

« D’années en années, on a le sentiment que la Beirut Art Fair (BAF) s’améliore », assurait un badaud, apparemment fidèle, alors que la BAF et sa petite sœur, la Beirut Design Fair (BDF), consacrée au design, refermaient leurs portes, ce dimanche 24 septembre. « Cette année, en particulier, la qualité des prestations m’a impressionné : un parcours simplifié, une impressionnante exposition d’art contemporain arabe [Ourouba, NDLR] et l’adjonction d’un nouvel espace dédié au design : la BAF monte clairement en grade », ajoute-t-il.


Avec plus de 28 250 visiteurs (soit 21 % de fréquentation en plus qu’en 2016) le bilan est  donc positif pour cette 8e édition de la BAF. « Beaucoup de visiteurs internationaux, des directeurs de musées, toute l’équipe de Christie’s Londres et Dubaï… », énumère l’organisatrice, Laure d’Hauteville, la voix éraillée de fatigue. « C’était vraiment un public international. »

Ce succès vient consacrer un travail de repositionnement, entamé  dès 2016. Depuis deux ans en effet, la BAF a mis en place un comité de sélection où des collectionneurs d’art libanais aident les organisateurs à défendre Beyrouth comme le « lieu incontournable de l’art dans la région », pour reprendre une expression de Laure d’Hauteville. Parmi eux, Basel Dalloul, le magnat des télécoms égyptien (groupe Noor) qui supervise la collection entamée par son père (3700 oeuvres d'art moderne et contemporain de la région); l'assureur Abraham Karabajakian, dont la collection KA (600 œuvres d'artistes) doit servir de base à un futur musée à Beyrouth ou encore Tarek Nahas, un avocat d’affaires qui collectionne les plus grands noms de la photographie mondiale et libanaise. Ensemble, ils ont contribué à la sélection des 51 galeries présentes venues de 20 pays différents. « Quelques 25 galeries nous ont rejoint pour la première fois cette année ; nous avons refusé une quinzaine d’autres au cours du processus », ajoute laure d’Hauteville. 

Mais ce qui a fait le succès de cette édition c’est sans conteste l’exposition centrale, Ourouba (« arabité »), menée de main de maître par Rose Issa, installée à Londres. En piochant dans les achats les plus récents des grands collectionneurs, cette galeriste iconoclaste est parvenue à dresser un panorama de la création contemporaine aussi originale que fidèle. «  Ourouba aurait été censuré dans n’importe quels autres pays arabes. Que ces œuvres proviennent de collections privées libanaises est un signal fort : c’est un pays dont les élites revendiquent, voire cautionnent, un questionnement politique sur ce que signifie être un artiste arabe », s’emporte Laure d’Hauteville. Esther Woerdehoff, de la galerie française éponyme, ne s’y est d’ailleurs pas trompée, estimant que « la BAF est une foire politique qui brise les tabous du monde arabe. » Pour elle, pas de doute : « Ce marché a un avenir. »


+ 19 % de chiffre d’affaires
Mais la foire  de Beyrouth a aussi répondu aux objectifs financiers de ses organisateurs : si les galeries refusent de parler chiffres, elles concèdent une « plutôt bonne année » à l’image de la galerie Tanit, qui exposait en particulier des photographies de Randa Mizra. « Le chiffre d’affaires de l’ensemble des galeries est en hausse de 19 % par rapport à l’année précédente. Environ 88 % des galeries ont réalisé des ventes, dont certaines dépassant les 500 000 dollars », précise le communiqué de presse.  Parmi les achats les plus chers négociés lors de ces quatre jours d’intenses tractations, on peut notamment mentionner les œuvres de l’artiste iranien Parviz Tanavoli(prix de vente non communiqué), dont une des sculptures s’est tout de même vendu 2,8 millions de dollars à Dubaï en 2008. A Beyrouth, cette année, trois étaient en vente ; les trois sont parties. 


Le design en orbite
Beyrouth avait aussi un autre défi à mener : la mise sur orbite de la Beirut Design Fair, consacrée au monde du design et du mobilier contemporain. Si le nouvel espace, qui comptait une quarantaine d’exposants - représentant une centaine de créateurs dont Chahan Minassian, David & Nicolas,ou Charles Kalpakian - n’a pas su attirer les galeries internationales, il a su en revanche séduire le public libanais. Quelques 17000 curieux ont fait le déplacement. Pour cela, la BDF n’avait pas lésiné sur les moyens :  l’espace a été aménagé par Adrien Gardère, l’homme derrière la décoration intérieure du Louvres-Lens. Résultat? Un côté plus intime, plus jeune et plus ouvert, qui convenait bien aux expérimentations du design libanais. « Il y a quelque chose d’inconcevable au Liban », estime Guillaume Taslé d’Heliand, l’homme aux mannettes de la BDF. « Dans quel autre pays de la région pourrait-on voir une telle maturité de création, un tel niveau d’élaboration ? ». Apparemment, il n’en revient toujours pas.